samedi 12 février 2022

The Dead Daisies : "Holy ground"

Cet album est assurément un coup de poker, et peut-être un coup de génie. On parle bien sûr de l'intégration de Glenn Hugues aux postes de chanteur et de bassiste. Certes, nous avions été dûment prévenus que The Dead Daisies était plus qu'un groupe : une sorte de projet à géométrie variable, dont les membres sont libres d'aller et de venir, selon leur gré. Exit donc Marco Mendoza (basse) et John Corabi (chant), d'après les principes évoqués ci-dessus. John, d'ailleurs, n'était pas le tout premier chanteur à participer au projet, mais beaucoup de gens ont découvert les Dead Daisies avec sa voix sans fioritures, légèrement voilée ou éraillée (selon les goûts) mais toujours mélodique et agréable. D'ailleurs, c'est un peu tout l'ensemble qui était comme ça, telle cette production assez sèche qui animait les albums d'antan et qui faisait penser que l'on avait affaire à un petit groupe local très prometteur ayant enregistré dans un bon studio de province. Ça avait un côté vraiment sympa, mais bien sûr complètement "fake", le groupe australo-américain ayant toujours été une machine bien huilée au niveau showbiz. 
Mais maintenant, tout est devenu ouvertement flamboyant : + de prod (quelle richesse !), + de basse (quel son !), + de voix (hallucinante et légendaire : on parle quand même de Glenn Hugues). Alors, c'est sûr que, sans lui, certains blockbusters présents sur "Holy ground" n'auraient sans doute pas vu le jour : le tube "Holy ground (shake the memory)", l'exubérant  "Like no other (bassline)", la fièvre de "Come alive", les envolées lyriques de "Far away" (le dernier tiers). Lorsque les Dead Daisies sortent leurs riffs façon Led Zep (ce qui n'est pas une nouveauté), Glenn Hugues s'en sort très bien ("Bustle and flow", "Saving grace", "Come alive"), sauf que le groupe perd en personnalité puisque, en entendant cette voix hors norme, on a l'impression d'écouter Black Country Communion... Finalement, c'est sur des morceaux assez standards tels "Unspoken" ou "Righteous days" que l'on retrouve le plus l'âme ancienne du groupe. Bref, avec toute cette "géométrie qui a varié", on y gagne pas mal, et on y perd forcément un peu. 
Ensuite, à chacun de faire sa propre balance, de se forger sa propre opinion, sachant qu'objectivement "Holy ground" est un bon cru. En ce qui me concerne, ces modifications corporelles lui ont fait rater la marche "coup de génie".



 

jeudi 20 janvier 2022

Mistreated : "Première intervention"

La réédition de l'album "Prohibition" de Marienthal m'avait permis de découvrir les débuts du guitariste Pat O' May. Ici, avec "Première intervention", No Remorse Records lève le voile sur la jeunesse de Bruno Ramos (Manigance, la nouvelle formation de Sortilège...). 
Pour être honnête, je n'avais jamais entendu parler de Mistreated, mais les quelques documents d'époque fournis avec le CD laissent à penser que les musiciens ont été des véritables stars locales du côté de Bagnères-de-Bigorre / La Mongie (ex région Midi-Pyrénées), et peut-être ont-ils eu leur petite notoriété dans le reste de l'Hexagone... 
Car "Première intervention" est vraiment un bon album, malheureusement handicapé par une production mal définie. Un vrai bocal. La batterie se résume à un "poum-tchak" pénible (c'est peut-être un peu voulu, années 80 oblige, mais je pense que c'est surtout beaucoup subi) ; de temps à autres, on a l'impression d'entendre des claviers façon Yamaha DX7, mais c'est très diffus (et il n'y a aucun crédit qui vient confirmer cela dans le livret). 
Heureusement, les guitares se font bien entendre, de même que le chant, et il n'y a pas à dire : ce sont de belles prestations, qui font partie des points forts du groupe. Ça et la composition des morceaux  : Bruno et François, les deux guitaristes, se partagent ce domaine clé, avec brio. Chaque chanson possède un refrain intéressant, et les structures sont bien pensées, parfois même plutôt ambitieuses : alternance arpèges / riffs sur "Exil", intro moderne et inquiétante pour "Un jour qui passe"... Ils savent aussi alterner les tempos : "Rock star" et "Fille de fer" plutôt speed, "Liberté" qui joue sur un certain balancement et un côté "hymne" à reprendre tous en choeur, "Un jour qui passe" et son côté lourd et assez dépressif... Même la balade "Sale histoire" tire son épingle du jeu (très beau refrain).
Au niveau du style, on a donc bien compris que Mistreated est un groupe "guitar oriented", assez heavy mélodique donc. En fait, le spectre est large : quelque part entre Trust et Journey (ou encore Europe) surtout lorsque les claviers fantômes (!) sont de sortie. Pour prendre deux exemples concrets : le très bon riff de "Rock to night" (probablement relevé de synthé) rappelle un peu le motif de "Fame" (oui, oui le film / comédie musicale) - donc style Hard FM - alors que celui de "Exil" semble calqué sur "Sophie" (Vulcain, sur l'album "Transition" : leur album le plus moderne, mais bon ça reste heavy, ce n'est pas non plus du AOR). Difficile de repérer exactement les influences et les intentions de Mistreated : Scorpion, peut-être aussi, serait un bon point de comparaison pour les définir...
"Première intervention" est sorti en 1988 et, fidèles à leur réputation de générosité, les gars de No Remorse Records ont livré cette réédition avec tout plein de bonus : 2 titres d'un single de 1984, 6 titres d'une démo de 1986. La mise en son de l'album, on l'a déjà dit, n'étant pas terrible, on imagine bien que tous ces tracks en plus ne sonnent vraiment pas du feu du dieu : à écouter pour l'intérêt historique et apprécier l'évolution de quelques chansons ("Liberté", "Fille de fer", "Rock star"), mais à réserver surtout à ceux qui ont suivi le groupe et ont possédé ces supports.




 

dimanche 19 décembre 2021

Darkthrone : "Eternal hails..."

Le nouvel album de Darkthrone (cuvée 2021... morceaux écrits en 2019) m'a tenu bien chaud, le temps que je parvienne à comprendre l'architecture compliquée de ce disque. Et ce n'est pas tant l'appellation "Epic black heavy metal" (cf. pochette dos) qui m'a aidé, mais plutôt une sorte d'acharnement à l'écoute, jusqu'à ce que plaisir s'ensuive.
Pourtant, cinq chansons ce n'est vraiment pas beaucoup : deux écrites par Fenriz, trois par Nocturno Culto ; l'ensemble de l'album étant chanté par les soins de ce dernier, comme cela se fait depuis "Arctic thunder". Oui mais voilà : les morceaux sont longs ("Epic..."), variés, souvent riches en rebondissements.
Commençons par ceux de Fenriz, le maître riffeur, car ce sont à mon sens les plus intéressants. "Hate cloak" est très orienté doom : long mais très bien articulé, riffing particulièrement brillant. "Lost arcane city of Uppakra", quant à lui, propose un bon démarrage bien heavy, trois minutes de montée en puissance jusqu'à une irrémédiable cassure : quelques mesures de squelettique basse, ouvrant la voie à un final instrumental, beau et glacial, dont le thème est joué avec un synthétiseur vintage. Très très bon, cohérent, ce n'est pas qu'un simple gimmick !
Les claviers chez Darkthrone, on pourrait en parler mais on ne le fera pas plus que ça, si ce n'est pour dire que leur inclusion est faite avec goût et respect, comme sur le "His master's voice" de Nocturno Culto (un mellotron en intro et outro, soutenant de beaux arpèges contemplatifs). "His master's voice" et "Wake of the awakened", signés NC, sont les deux titres qui renverront le plus aux racines black de Darkthrone ("His master's voice" a un petit côté "In the shadow of the horns", tandis que "Wake of the awakened" présente des facettes plus linéaires). Ces racines sont dorénavant fortement métissées, bien saupoudrées de heavy, mais elles sont bel et bien là. 
C'est ensuite, et enfin, au tour de "Voyage to a north pole adrift". Dire que j'ai compris cette chanson, à l'heure où j'écris ces lignes, serait bien ambitieux, voire prétentieux. Le fait est que cette longue pièce, la plus longue de l'album, démarre avec un riff plutôt doom, au balancement assez original, qui s'emboîte parfaitement dans un autre, le tout formant trois minutes de métal de fort bonne facture. Puis, transition et départ vers... autre chose : un puzzle de riffs différents qui vont s'enchaîner et se connecter plus ou moins bien les uns avec les autres. Le pire c'est que, prises individuellement, toutes ces idées musicales sont pertinentes, mais c'est trop tard : l'auditeur perd progressivement ses jalons, d'autant que les thèmes du début ne reviennent plus jamais. Au bout de huit minutes, on croit le morceau terminé, mais il y a encore une ultime orientation, sans grand rapport avec le précédent rebondissement. Certes, cela s'appelle "Voyage to a north pole adrift" avec les aléas que le titre laisse entendre ; certes, au fil des écoutes la bête s'apprivoise peu à peu ; certes, le métal extrême est fait de plans qui s'articulent... "Voyage..." me rappelle "Into the unfathomed tower" sur l'album "Tales of creation" de Candlemass : un labyrinthe constitué de plein de parties différentes, sauf que chez Candlemass chaque partie avait un sous-titre. Cela aurait peut-être pu aider...


mercredi 24 novembre 2021

Ministry : "Filth pig"

Paru en 1996, "Filth pig" est l'album qui a eu la lourde tâche de succéder à "Psalm 69...", le bad trip référentiel cité dans tous les classements metal indus. Cyberpunk, hanté par les samples, chirurgical et martial, "Psalm 69..." a définitivement placé Ministry sur orbite. Il ne restait plus au groupe qu'à bien calculer la suite de sa trajectoire... et c'est chose faite avec un "Filth pig" beaucoup plus aéré et organique. Les machines sont toujours là, mais on les a intégrées dans le socle "batterie-basse proéminente-guitare(s)", et l'album sonne comme si on se trouvait au beau milieu d'une salle de répétition. Bref, c'est subtilement basique.
Le trio d'ouverture (les rafales de "Reload" et les deux lancinants "Filth pig" et "Lava") fait forte impression. C'est toujours cauchemardesque, urbain et poisseux. La relève des tubes de "Psalm 69..." est d'ores et déjà assurée, tant les riffs et les refrains de ces trois titres, pourtant très basiques, sont accrocheurs. Puis ça continue, sans trop s'emballer, avec "Crumbs" et "Useless" : tempo lourd, affutage des barbelés, avant une face B... démentielle !
D'abord, "Dead guy" et "Gameshow". Les deux chansons sont marquées par une batterie saccadée en intro, un côté métal et post punk à la fois : on pense aux harmonies de Joy Division, à l'ambiance au couteau de l'album "Pornography" des Cure. "Gameshow" sonne vraiment comme une descente dans les pires bas fonds, et se présente comme l'une des perles noires de ce disque. Un peu plus loin, "The fall" constitue sans doute le meilleur pont avec l'univers indus opaque de "Psalm 69...", comme une résurgence involontaire et ironique, tels ces arpèges de piano fantôme qui surnagent dans un véritable magma, doom à souhait. Fatigué ? Qu'à cela ne tienne : le Ministre a pensé à tout. Ainsi, l'inattendu "Lay lady lay" (oui, oui, une reprise de Bob Dylan) vous permettra de souffler un peu : couplets acoustiques légers, refrain puissant, basse saturée. Enfin, passé l'intro bruitiste de "Brick window", c'est un dernier titre aérien et martial à la fois qui vous permettra de clore l'expérience "Filth pig".
"Filth pig" : le meilleur Ministry... juste après "Psalm 69..." (constat chronologique et avis qualitatif à la fois).






mercredi 18 août 2021

Paul Gilbert : "Werewolves of Portland"

Ce n'est pas toujours facile d'aborder un album de guitare instrumentale... A l'occasion de ce 17ème album solo, Paul Gilbert l'a sans doute compris puisque son disque est fourni avec des paroles, que sa guitare se charge de "chanter" ("bien mieux que lui", précise-t-il), avec la participation de l'auditeur, s'il le souhaite ! Cette étonnante méthode de composition, à base originellement de véritables chansons, pourra peut-être débloquer certains réfractaires, bousculés par les pratiques de Vai, Satriani, Friedman, Becker... et consorts. Bon, encore faut-il bien connaître les morceaux de "Werewolves of Portland", afin de différencier les parties purement instrumentales (très virtuoses, bien sûr) des parties "chantées" (plus mélodiques). Mais ça marche plutôt bien, et après s'être bien immergé dans les textes, on se surprend à fredonner "Pie Ah-ah-ah-ah, Ah-ah-ah-ah, Ah-ah" en écoutant "Arguments about pie" (très bon exemple de partage entre pirouettes néo-classiques à la Malmsteen et parties évoquant des couplets et un refrain). 
De plus, cet exercice proposé par Paul permet de mieux s'immerger dans les structures assez complexes de certains morceaux (la première partie de l'album, principalement). Ainsi en est-il de "Hello North Dakota !", dont l'intéressant labyrinthe musical est encadré par une introduction et une conclusion très "hymne national" (peut-être celui du Dakota du Nord ?) ; ou encore le prog "Werewolves of Portland", avec ses riffs saccadés et sa guitare qui hurle à la lune (forcément...) avant de proposer quelques mesures soudaines de bon blues ! Sur "Professorship at the Leningrad Conservatory" (quel titre !), on ne se lasse pas du contraste entre le motif disco hyper dansant qui nous accueille et le corps du morceau, plutôt calme et posé.
A partir de "Meaningful" (la balade), les choses se simplifient un peu : du blues technique pour "I wanna cry...", un pan d'univers Hendrixien à la "Foxy lady" à l'occasion de "Problem-solving people", une sorte de boogie à la ZZ Top sur "(You would not be able to handle) what I handle every day". L'album est donc varié, tandis que l'interprétation de Paul Gilbert, à la batterie, à la basse et bien sûr à la guitare, est juste sans faille et impressionnante. Quelle imagination déployée par ce guitar hero qui possède un son organique, presque fuzzy, très agréable à écouter, n'hésitant pas à employer des effets chaleureux quand il le faut : haut parleur tournant à la fin de "Arguments about pie", wah wah sur "Problem-solving people". 
Une incroyable mine de notes, de trouvailles, dans un univers rock et baroque à la fois.


 

lundi 2 août 2021

Raven : "Metal city"

De la carrière de Raven, le fan de métal connaît souvent quelques jalons. Toujours un peu les mêmes... Leurs glorieux débuts dans la NWOBHM, avec 3 albums studio de référence ("Rock until you drop", "Wiped out", "All for one") et un live enragé ("Live at the Inferno"). Puis, la période passée chez Atlantic Records, la maison de disques ayant fortement poussé le groupe à expérimenter, ce qui a donné "Stay hard", et surtout le mal aimé "The pack is back" ; deux albums qui ont bien failli avoir la peau de Raven, tout simplement... Sur "Life's a bitch", leur dernière cuvée chez Atlantic, les anglais ont opéré un retour rassurant au heavy et au speed qui les avaient rendu populaires : l'énergie était là, mais un peu moins l'inspiration. Ensuite, et c'est généralement là que ça devient nébuleux pour beaucoup, Raven a poursuivi sa carrière, sans plus jamais quitter les rivages du métal : des albums publiés avec régularité, en mode assez confidentiel, jusqu'à l'accident grave du guitariste Mark Gallagher en 2001. Plusieurs années de pause imprévue, puis le retour avec "Walk through fire" en 2009, "ExtermiNation" en 2015 et ce "Metal city" en 2020. Une persévérance qui a du bon, puisque ce génial album à la pochette cartoon délirante et originale est le premier à réunir tous les ingrédients pour faire date ; et ça, ce n'est pas arrivé depuis... longtemps !
Forts d'un très bon nouveau batteur (Mike Heller), qui fait cliquer sa double pédale tout du long, les frères de Newcastle alignent, sur le tapis rouge d'une production idéale, les nombreux tips qui ont fait leur renommée. Par exemple, une large moitié d'album occupée par des titres vraiment frénétiques (les 3 premiers, puis "Cybertron", sans oublier ce "Motorheadin" de folie qui démarre par un terrible roulement à la "Overkill" - normal, il s'agit d'un hommage à Motörhead). Pour varier les plaisirs, on rencontre aussi du heavy (l'hymne "Metal city" et le lent "When worlds collide), de l'épique ("Battlescarred",
qui se pique même de reprendre en paroles la célèbre formule "All for one, one for all"), du typé Maiden ("Not so easy" ressemblant fort à "Tailgunner"). Et puis, nous sommes en 2021, aussi Raven se permet-il d'adresser quelques oeillades au thrash métal (le refrain dépravé de "Break" et les quelques blasts de "Human race"). Référentiels, institutionnels : les cris d'orfraie du bassiste/chanteur John Gallagher sont bien de la partie, de même que les solis fiévreux de son frère Mark, ainsi que les célèbres breaks mélodiques composés aux petits oignons qui ont toujours jalonné les morceaux du groupe (ici, le plus remarquable étant celui de "Human race"). 
Vous perdiez du temps à vous lamenter sur la santé de Raven ? Passez à autre chose !