vendredi 20 avril 2018

Running Wild : "Gates to purgatory"

Puisqu'il est intéressant de se plonger dans la réédition des albums de Running Wild, autant commencer par ce tout premier opus, et remonter le temps vers un certain 26 décembre 1984, sa date officielle de sortie.
Running Wild fait déjà vibrer les murs de sa vieille ville de Hambourg depuis plusieurs années, au son d'un heavy metal qui se cherche encore, mais dont les racines sont  une évidence : "Running wild" est, à la base,  le nom d'une chanson de Judas Priest, parue sur l'album "Killing machine" (1978). A la même époque, sortent du bois d'autres formations composées de jeunes Allemands prêts à en découdre (Grave Digger, Rage, Helloween, S.A.D.O,...), assoiffés par ce métal déjà établi, ainsi qu'un courant très prometteur qui est en train de naître : le speed. Des labels spécialisés se créent et mettent rapidement sur les rails des compilations destinées à faire connaître le meilleur de cette nouvelle vague. Running Wild a l'opportunité de placer deux titres sur la compile de 1983 "Rock from hell - German metal attack" (ce sont "Chains & leather" et "Adrian"), puis deux autres l'année suivante sur "Death metal" ("Iron heads" et "Bones to ashes"). Les retours sont bons : un premier album suivra donc dans la foulée.
Nous savons tous que Running Wild a construit une bonne partie de sa réputation sur son utilisation du thème de la piraterie. Mais en 1984, les trois mâts et les îles au trésor sont encore loin : le groupe parle surtout de satanisme et se cache sous du cuir noir hérissé de clous. Quelques thématiques sociales ("Victim of states power") ou historiques ("Gengis Kahn") surnagent, mais globalement Running Wild suit scrupuleusement, en ces temps reculés, l’archétype des formations métal, ni plus ni moins. La pochette de ce "Gates to purgatory" en est d'ailleurs l'illustration parfaite, ce bras ganté et armé rappelant la pochette déjà culte du "Heavy metal maniac" d'Exciter (1983). 
"Gates to purgatory" ne contient que 8 titres (nous sommes au temps du vinyle : 4 chansons par face pour garder une bonne qualité sonore) et le démarrage se fait sur les chapeaux de roues avec une speederie : "Victim of states power". Il y en aura une autre un peu plus loin ("Adrian S.O.S"), mais le reste de l'album est surtout heavy et assez contrasté, allant même jusqu'à s'aventurer sur les terres du doom ("Preacher", pas une grande réussite) ou même de Mercyful Fate (les vocaux aigus de "Diabolic force"). Les titres les plus mémorables sont "Victim of states power", "Gengis Kahn" et "Prisoners of our time" : ils ont hanté les compilations et les set lists du groupe jusqu'à aujourd'hui, grâce à la grande qualité d'écriture des riffs et des refrains. Concernant les autres chansons, "Adrian S.O.S" fonctionne principalement sur un jusqu'au boutisme presque punk (qui rappelle Venom), tandis que "Black demon" et "Soldiers of hell" utilisent des schéma priestiens et constituent des compositions tout à fait intéressantes. 
Un petit mot sur la production : les vocaux dans la moyenne de Rolf Kasparek sont dilués dans une reverb datée (un principe que le groupe utilisera - malheureusement - sur bon nombre d'albums suivants). Il faudra s'y faire...
Enfin, sachez que nous tenons là l'une des rééditions les plus intéressantes de toute la série, au vu de la qualité des bonus proposés : les titres d'époque parus sur les compilations "Rock from hell - German metal attack" ("Chains & leather", "Adrian") et "Death metal" ("Iron heads", titre speed brut de décoffrage, et "Bones to ashes", conçu dans la veine priestienne de "Tyrant"), les chansons placées en face B du maxi "Victim of states power" (le convenu "Satan" et le très bon "Walpurgis night") ; enfin, deux morceaux réenregistrés en 1991 ("Soldiers of hell" et "Prisoners of our time", pour lesquels on constatera que les voix des couplets ne sont plus autant réverbérées, au profit de l'apparition d'un écho inutile sur les refrains !).



jeudi 19 avril 2018

Rose Tattoo : "Assault & Battery"

La bande son des épreuves et du passage à l'âge d'homme...
Car malgré les mines un peu patibulaires des membres du groupe et les sujets parfois bien sordides abordés ici (la prostitution, l'alcool, les quartiers difficiles...), il y a de l'espoir dans ce disque. Beaucoup d'espoir. Ne serait-ce que sur la photographie qui orne la pochette : être fier de son premier ou dernier tatouage, seule tache de couleur dans le noir et blanc du quotidien ; nouer des amitiés solides et faire front à plusieurs contre une certaine fatalité.
Voilà, il y a déjà tout cela à gratter en surface.
Mais le moteur véritable de "Assault & Battery" c'est bien sûr la musique : ce rock n' roll qui peut changer une vie, vous sauver de la délinquance ou d'années passées à trimer misérablement en usine... C'est surtout cela que l'on ressent, cette conclusion inéluctable : "Rock n' roll is king" ! 
Et concernant Rose Tattoo, le hard rock distillé par ces gars est tellement âpre qu'il devrait vous faire diminuer de façon drastique votre dose quotidienne d'antidépresseurs. Le son est sec comme un coup de trique, la voix d'Angry Aderson râpe et monte au front  tandis que la guitare de Michael Cocks arrache des morceaux de bitume (l'intro d'All the lessons, par exemple). Véritable marque de fabrique, une deuxième six-cordes, celle de Pete Wells, distille de longues traînées de slide (la seule vraie fioriture dans cette musique : merci !).
Pour autant, ce "Assalut and battery" est tout sauf une agression vile et gratuite. Des couplets et des refrains inoubliables, il y en a à foison. En fait, chaque chanson mérite tout simplement d'être citée : il n'y a rien à écarter, entre les speederies à la limite du punk ("Suicide city", "Manzil madness", "Assault and battery", "All the lessons"), les manifestes rock mid tempo  ("Out of this place", "Let it go", "Rock n' roll is king", "Sidewalk Sally"), le blues lent et lourd de menaces ("Chinese dunkirk"). La maîtrise du propos est juste parfaite.
Le pire, c'est que ces australiens nés pour rocker n'ont jamais ressemblé, ni de près ni de loin, à leurs glorieux confrères d'AC/DC... 
Sur les cinq membres de ce line up original ("Assault & Battery" n'étant que le deuxième album de Rose Tattoo), Angry Anderson, le petit chanteur chauve, est le seul survivant. Les autres sont partis exhiber leurs tatouages, riffer ou assurer la rythmique dans d'autres dimensions. C'est donc avec toujours autant de bonheur, mais avec un petit pincement du côté gauche, que l'on extirpera désormais ce "Assault & Battery" de son étagère.
Petite précision : le deuxième bonus n'est pas une version alternative de "Suicide city" mais la chanson "All hell broke loose", extraite de la compilation "Nice boys don't play rock n' roll".

mardi 17 avril 2018

Audrey Horne : "Blackout"

Pour ce sixième album, il n'y a pas à dire, Audrey Horne a trouvé son style : un heavy mélodique, classieux et moderne, boosté par une attaque à deux guitares harmonisées ainsi que de fines harmonies vocales. 
La formule tourne si bien qu'elle en arrive à lisser fortement les vieilles influences du groupe, passées au crible d'une puissante "audreyhornisation" de la musique. Parfois, elles surgissent encore, et avec une telle acuité que l'on accusera carrément les Norvégiens de le faire vraiment exprès : Iron Maiden pour la basse bien en avant et les twin guitars de "Naysayer" (écoutez en particulier le bridge avant solo de la chanson : typique) ; Thin Lizzy pour le beau "Rose Alley" (dont le titre lui-même est un clin d’œil à "Rosalie").  
Par contre des titres tels que "This is war" ou "Audrevolution", en plus d'être très réussis, ne doivent plus grand chose à quiconque : c'est du pur Audrey Horne, point. Même constat pour le mid tempo blafard "California" (passé l'intro un peu pataude dans l'esprit du "Quest for fire" de... Maiden) ou encore "Midnight man" (très heavy mais trop en roue libre pour être vraiment marquant).
Sa patte, Audrey Horne l'a aussi posée sur des influences nouvelles, ce qui fait l'intérêt de ce disque (en sus de la photographie conceptuelle qui illustre la pochette, dans la lignée du "Wish you were here" de Pink Floyd, ou encore du "Presence" de Led Zeppelin).
On commencera par la presque pop tranquille et mélancolique de "This one", basée sur un beau riff répétitif et symétrique, qui fait mouche. Un détour aussi par le hard FM musclé avec "Blackout", dans lequel Pat Benatar pourrait quasiment retrouver ses marques d'antan ("Hit me with your best shot", ça vous parle ?). Quelques mesures d'orgue Hammond B3 au centre du speedé "Light your way", de quoi prendre l'autoroute à fond et doubler tout le monde (si vous voyez ce que je veux dire)...
Un simple clin d’œil  comparé à "Satellite", ou comment vampiriser des plans funk voire disco et en faire une réussite heavy incontestable, un truc tout bête mais pour lequel, bien souvent, on se souvient d'un disque. Audrey Horne l'a fait, et cette respiration aux deux tiers de l'album est un moment fort.
Petit mot sur les bonus : on s'étonnera éventuellement de la relégation de "Juggernaut" au rang de B-stock, ce titre heavy fonctionnant au moins aussi bien que "Midnight man" ou "Light your way", et proposant même un pont lourd et inspiré. Pas de souci par contre en ce qui concerne la place loin au fond de "The end", le refrain de cette balade proposant de sales petits relents dignes d'une pop anglaise commerciale façon Oasis (à oublier donc).


samedi 14 avril 2018

Phil Campbell and The Bastard Sons : "The age of absurdity"

Du décès tragique de Lemmy on pouvait au moins espérer que Motörhead cesse toute activité (et ne nous impose surtout pas un remplaçant ridicule), et que ses membres survivants finissent par produire quelque chose d'autre, ensemble ou séparément.
Deux souhaits que l'on pourra qualifier - pour l'instant - d'exaucés, le deuxième se réalisant donc avec la parution de cet album (avec l'option "séparément" puisque Mikkey Dee a choisi de faire bénéficier Scorpions de ses grands talents de batteur ; merci pour eux). 
Petite précision : le projet Phil Campbell and The Bastard Sons (réunissant Phil Campbell, trois de ses fils et le chanteur Neil Starr) n'est pas une nouveauté puisqu'il existait déjà du vivant de Motörhead et avait à son actif quelques concerts ainsi que la publication d'un EP. On dira donc que le groupe passe ici la vitesse supérieure en publiant son véritable premier album, tout en quittant le statut pas terrible de "side project".
Pour mémoire, Phil Campbell est le guitariste qui est resté le plus longtemps au sein de Motörhead (31 ans). Une telle longévité marque forcément son homme, et c'est sans grande surprise que l'on constate que "The age of absurdity" démarre avec un petit bolide rock amphétamines nommé "Ringleader". Puis, c'est encore l'expérience qui pousse à lever le pied et placer en seconde position un titre plus lourd au refrain très entêtant ("Freakshow"). On pourrait citer aussi la basse speedée de "Gipsy kiss", de même que le côté punk-moins de deux minutes de "Dropping the needle"... Mais ne vous y trompez pas : malgré ces réminiscences quasi obligatoires, "The age of absurdity" n'est pas l'album que Motörhead aurait enregistré après "Bad magic". D'ailleurs (et c'est un bon point), la voix de Neil Starr n'a vraiment rien à voir avec celle de Lemmy.
Situé en troisième position, "Skin and bones" rappelle ce rock grunge des années 90, dans lequel Mötley Crüe s'était engouffré (avec un certain talent) le temps de leur album éponyme en compagnie de John Corabi. "Welcome to hell", quant à lui, propose une approche assez actuelle de la composition hard, avec un refrain séquencé sur deux notes seulement. En ce qui concerne "Step into the fire", "Get on your knees" et "High rule", le rock dur est bel et bien présent mais passé par le filtre de la modernité et d'une certaine prudence. 
Pourtant, ce "High rule" au groove et au refrain originaux interpelle : mis dans la perspective d'un titre ambitieux tel que "Sacrifice", il aurait pu faire figure de grande réussite et de vrai pas en avant sur un album de Motörhead. 
Mention spéciale aussi pour le bluesy "Dark days" : son harmonica, ses couplets acoustiques et son refrain plutôt rock alternatif font mouche. Un titre que l'on retient.
Très policée, l'atmosphérique "Into the dark" renvoie à l'univers Def Leppard (on pense à "White lightning" sur l'album "Adrenalize"). Et  "The age of absurdity" de s'achever avec un ghost track très malin : la reprise du "Silver machine" d'Hawkwind (Lemmy a fait partie d'Hawkwind avant de se faire virer et de fonder Motörhead) !
Beaucoup de contrastes donc sur ce premier album : un peu trop peut-être, mais c'est sans doute à ce prix-là qu'ils pourront se construire une vraie personnalité dans le futur. Il faudra également songer à une production un peu moins lisse : la flamme du gros rock étant bel et bien là, autant la faire monter le plus haut possible.



jeudi 12 avril 2018

American Dog : "Unfinished business"

On le savait déjà : à l'exacte croisée des chemins empruntés par Motörhead, Aerosmith, Rose Tattoo, le rock sudiste et quelques obscurs combos de punk, American Dog perpétue la flamme d'un hard rock séminal.
On le découvre présentement avec ce "Unfinished business" riche ('très riche) : American Dog pousse dans ses retranchements le concept d'album anniversaire (20 ans).
Trente-six titres, deux cd : quel cadeau ! Une intention qui n'a d'égale que la musique "larger than life" du groupe (ou encore l'incroyable dessin qui orne la pochette). 
Loin d'être terrassé, l'indomptable American Dog propose, sur le premier disque, une compilation de ses meilleures réalisations studio : une occasion facile de survoler la discographie du chien, d'un simple clic sur la touche "play". Au programme : du rock n' roll qui déboule à des tempi variés, de l'humour sordide, du sexe, beaucoup d'alcool et de gros mots, un peu d'acoustique ("Bullshit") et une bonne reprise de Motörhead ("Rock it", tirée du mal aimé "Another perfect day"). 
Le deuxième disque démarre avec deux titres studio inédits, spécialement enregistrés (ou gardés au frais) pour l'occasion ("Unfinished business" et "I'm offended") : du pur American Dog (pas grand chose à ajouter si ce n'est que ce "Unfinished business" squattera sans doute les futurs concerts, de la même manière qu'il s'insinue insidieusement dans nos neurones). 
S'ensuit un concert capté dans la chaleur de l'Ohio lors de la dernière tournée. Très bon son (l'énergie, on n'en causera même pas) et une sélection qui fait la part belle aux chansons de l'opus "Neanderthal" (7 titres sur 13 + "Sun won't shine" enregistré pendant le soundcheck). 
On termine avec deux chutes de l'EP "Six pack" : "Out of the sun" (deuxième reprise de Motörhead, rayon spécialiste, exhumée de l'excellent album "Sacrifice") et "Train kept a rollin'" (originellement écrite et interprétée par Tiny Bradshaw, mais que toutes les pointures du hard rock ont repris un jour, des Yardbirds à Led Zeppelin, en passant bien sûr par Aerosmith et... Motörhead !). 
Petit exploit : mise à part "Shitkikcker", aucune chanson ne fait double emploi d'un disque à l'autre. Bravo pour la sélection, la beauté du produit (tous les titres ont droit à un petit commentaire signé Michael Hannon, bassiste-chanteur), et surtout : bon anniversaire les gars !
Rendez-vous dans vingt ans pour un autre "Unfinished business"...