samedi 28 septembre 2019

Ahab : "The call of the wretched sea"

Note : cette chronique est extraite de l'ébauche d'un recueil consacré au doom métal, que j'avais commencé à écrire en 2006. Chaque album était disséqué sous la forme d'un "track by track", afin d'être le plus objectif possible.
AHAB : “The call of the wretched sea” (2006) Napalm Records
Daniel Droste : voices, guit, synths - Christian Hector : guit - Stephan Adolph : bass, background voices - Corny Althammer : session & live drums
1 : 07 : 32

Below the sun : un long prologue instrumental assez glauque sort des enceintes. Puis, un véritable mur de guitares, façon chape de plomb, fond soudain sur l’auditeur. Le son est digne des très grands espaces embrumés, la voix death coagule à fond et plonge vers des gouffres vertigineux. C’est parti pour plus d’une heure de “Nautik funeral doom”, appellation d’origine donnée par le groupe lui-même. Alors, de quoi s’agit-il ? Surtout d’un concept unique entièrement consacré au “Moby Dick” d’Herman Melville. Tout s’y rattache : le nom du groupe, les textes reliés entre eux, l’iconographie, la tragédie véhiculée par la musique. Car l’un des exploits de ce funeral doom monolithique est de transmettre de magnifiques émotions, sans jamais endormir l’auditeur. Pour cela, ce “Below the sun” à la structure élaborée est traversé par des chorus mélodiques de guitare particulièrement lumineux, ce qui est un comble dans un ensemble aussi lent et aussi sombre. Le résultat est passionnant. 11 : 45
The pacific : la batterie démarre en solo et chaque rare coup, répercuté par une reverb
monumentale, est un défi au métronome. Ensuite, une distorsion énorme envahit l’espace et des lignes mélodiques à la guitare aident le morceau à ramper tant bien que mal jusqu’à une belle transition en arpèges. Pendant ce temps, le vocaliste “gruike” à s’en décrocher la gorge, sauf à l’occasion du break atmosphérique final sur lequel une voix spectrale prend le relais. Toute une palette d’émotions. 10 : 07
Old thunder : l’introduction en arpèges clairs porte un thème mélancolique de toute beauté et donne naissance à un riff martelé étonnant. Du coup, le tempo décolle un peu. Les guitares décochent des flèches dans tous les sens (riffs, chorus, ostinato) et le chant n’est pas en reste (voix death caverneuse, choeurs sombres sur le refrain). “Old thunder” déploie ses ailes dans la violence et la musicalité la plus pure. Une vraie baffe. 9 : 54
Of the monstruous pictures of whales : on sort les synthés pour une petite pièce instrumentale très atmosphérique, mais aussi très sombre. 1 : 46
The sermon : le tempo presque medium étonne un peu. Comme toujours, Ahab habille ses riffs avec des thèmes mélodiques impressionnants. On progresse ainsi de manière assez monolithique jusqu’à une longue pause dans le style “Rime of the ancient mariner”, avec arpèges et samples de voix, de vent, de vagues... A la reprise de la distorsion, la guitare semble tester une grande variété de motifs rythmiques. Puis le tempo ralentit d’un cran ; place aux synthés spectraux et aux chœurs grégoriens (enfin, presque...) pour finir. 12 : 35
The hunt : on démarre sur un bel ostinato à la guitare claire. Les riffs saturés font leur apparition et se déploient par-dessus, sur fond de choeurs écorchés et solennels. Le morceau prend une sorte d’envol au bout de 4 minutes, avec cri orgasmique et voix death en putréfaction, avant de s’échouer sur l’un des écueils les plus lents du disque (style “un coup sur la caisse claire toutes les 6 secondes”). Un piano fantomatique repêche l’ostinato du début et aide le tempo à retrouver un semblant d’humanité jusqu’au bout. 11 : 13
Ahab’s oath : c’est un clavier aérien qui, en ouverture, dévoile le thème mélodique et assurera un peu plus tard le break de transition ainsi que le chorus final. Le tempo est ultra lent, presque usant pour les nerfs. Le chanteur propose une ascension vertigineuse vers les fréquences graves. Un plan à la double grosse caisse permet, en conclusion, de s’extirper de ce cauchemar. 10 : 11


mercredi 25 septembre 2019

Abdullah : "Graveyard poetry"

Deuxième album pour Abdullah, et toujours cet incroyable bouillonnement créatif, avec pour dénominateur commun ce heavy / stoner / sludge / rock qui a carrément vu la lumière, porté par la voix d'ange de Jeff Shirilla.
"Graveyard poetry", une expérience de yoga métal, déclinée en plusieurs exercices et autant d'influences, qui demandera à l'auditeur un peu d'exigence et surtout de pratique : l'album, assez long, ne se livre pas si facilement, et il faudra plusieurs écoutes pour maîtriser sa cartographie assez complexe.
"Graveyard poetry", où comment passer, au sein du même recueil, de Black Sabbath ("The whimper of whipped dogs", assez lent, avec un break speedé genre Electric Funeral, "Beyond the mountain") à Dio (le petit bolide "Deprogrammed") ; de Deep Purple ("Guided by the spirit") à Down (le sludge d'école de "Medicine man"). 
On peut même tâter du Ozzy Osbourne période Zakk Wylde sur "Strange benedictions", des relents de hardcore à la Biohazard, avec growls de circonstance ("They, the tyrants"), des gris-gris / bruitages psychédéliques ("Black helicopters", "A dark but shining sun"), de froides arpèges façon groupe de thrash ("Salamander")... Tout cela sans qu'Abdullah perde sa personnalité, son essence, des pièces comme "Pantheistic" ou "Secret teachings of lost ages" renvoyant d'ailleurs directement aux principes établis sur le premier album, mettant en retrait cette fibre un peu aventurière présente sur le reste de "Graveyard poetry". 
Tout cela sans oublier "Behold a pale horse", une grande boucle de doom progressif (piano délicat au départ et à l'arrivée), qui se charge de faire voyager l'auditeur dans des méandres délicats, contrastés et savamment structurés.
Quelques années plus tard, cet Abdullah sans limite implosera, peut-être dépassé par les ramifications galopantes de son imagination. Dommage...




samedi 21 septembre 2019

77 : "21st century rock"

Avertissement ! Au cours de cette chronique, vous auriez pu croiser, en guise de comparaison, les titres suivants : "Jailbreak", "It's a long way to the top", "Soul stripper", "Let there be rock", "There's gonna be some rockin" (chanson d'ailleurs fort convenue, basée sur une structure mille fois empruntée auparavant), "She's got balls", et un peu de "TNT et de "Ride on".
On vous fera grâce des correspondances terme à terme.
Mais vous voilà définitivement prévenus : les rockers espagnols de 77, pour lesquels "21st century rock" a constitué le tout premier méfait en studio, ont  sérieusement pillé AC/DC (pillage ou hommage : chacun fera d'ailleurs son choix par la suite).
Fins gourmets, bons stratèges, ils se sont même focalisés sur les premiers albums des australiens, en fait jusqu'à "Let there be rock", paru en... 77 ! Et ce n'est que le début d'une formule magique tout à fait assumée...
Production sèche et génialement vintage, savant dosage de Gretsch et de Gibson SG branchés dans des amplis Marshall, voix suave, subtilement éraillée et un peu voilée façon Bon Scott, riffs totalement dans l'esprit : tout est là, même les chœurs acides à la Malcolm Young . A certains moments, c'est tellement troublant que l'on a l'impression d'écouter le trésor de guerre d'AC/DC, l'album caché, enregistré du vivant du grand Bon, et qui n'aurait jamais vu le jour (hum, resterait encore à savoir pourquoi...) Ce qui revient à reconnaître une certaine qualité, ou du moins crédibilité, au matériel proposé ici, tout en réalisant que, forcément, 77 n'invente absolument rien et ne fait preuve d'aucune originalité. 
Les quidams ou autres puristes qui, scandalisés par tant d'audace, n'ont pas encore pris la fuite, poseront peut-être une oreille sur cet album, et réaliseront à quel point son écoute est fort agréable ; une sorte de madeleine de Proust musicale. Tout juste reprochera-t-on le manque
d'urgence qui aurait pu transcender ces compositions déjà fort convaincantes, 77 s'étant un peu trop focalisé sur le mimétisme au détriment d'une énergie juvénile qui aurait dû être davantage exploitée. Rappelons au passage, en parlant d'intensité, que 77 a probablement été signé par le label Listenable pour surfer sur la vague Airbourne, cette relecture de l'héritage AC/DC basée sur la sueur et la débauche de décibels. Chez 77, il faut attendre "Wicked girl" pour voir le tempo sortir d'un mid-tempo binaire bien balancé mais globalement assez pépère (on met à part bien sûr les blues torrides à la "Shake it up" ou encore "Double tongue woman"). Il n'empêche que, sans défourailler mais correctement campés sur leurs riffs, "Big smoker pig" et "Your game's over", notamment, font bonne impression, et il en est de même pour tous les solis de l'album, très nuancés, avec une excellente capacité à faire monter progressivement la pression.
Alors pillage ou hommage ? Personnellement, j'ai très vite opté pour la seconde proposition, ne pas laisser perdre de telles recettes étant d'utilité publique.


mercredi 11 septembre 2019

Last In Line : "II"

Deuxième album pour Last in Line, forcément dédié à Jimmy Bain, bassiste, décédé peu après la sortie du tout premier. Une telle tragédie aurait pu sonner le glas de ce projet... L’apparition d'un nouvel effort studio à même de quoi surprendre un peu... Et pourtant, passant donc, par la force du destin, des trois quarts à seulement la moitié du line up historique de Dio (les rescapés Vinny Appice et Vivian Campbell), Last in Line est bel et bien là pour défendre la cause d'un heavy lyrique et racé, tel qu'il a été défini par le maître dès l'album "Holy diver".
Andrew Freeman chante toujours bien, dans l'esprit, mais sans définitivement être la doublure vocale de Ronnie James. La production bien définie, claire et assez sèche, donne l'impression d'avoir le groupe face à soi, dans la même pièce. Quant à l'iconographie du groupe, elle nous conforte dans l'idée que ce projet a une personnalité propre, ainsi qu'une ligne directrice précise.
Après une intro belle et atmosphérique, l'album démarre par un titre lent, presque scandé : "Black out the sun". Drôle de choix, mais la surprise initiale laisse vite place à une impression de majesté, de solennité, d'exception (d'autant que que "Black out the sun" est franchement chiadé). Bref, cet album numéro 2 interpelle dès le départ, mais positivement. 
Avec le titre suivant ("Landslide"), le groupe nous fait le coup, sur un tempo bien balancé cette fois, de la chanson évidente au premier abord et toujours intéressante bien des écoutes plus tard (un peu comme "Starmaker" sur le premier album). Les riffs ne sont pas follement originaux, mais ils impriment à la perfection ! 
Ensuite, "Gods and tyrant" (au riff rappelant quelque peu les travaux bluesy de Rory Gallagher) ralentit, tandis que "Year of the gun" passe la cinquième vitesse, pour des délices heavy en vitesse surmultipliée... Et l'auditeur de se dire : "Ok, Last in Line a construit son track listing sur une alternance systématique de tempos ; donc, la chanson suivante, "Give up the ghost", va être lente." Bingo ! Mais c'est là que le raisonnement prend fin, et c'est aussi là que l'on a toutes les chances de décrocher... "Give up the ghost" est bel et bien lente mais ses deux collègues d'après aussi ("The unknown", "Sword from the stone"). Aucun de ces chanson ne démérite vraiment : "Give up the ghost" est un mastodonte conçu pour écraser, "The unknown" a une construction assez progressive mais ses nombreux breaks et parties alternées gênent le décollage, "Sword from the stone" est à peu près aussi bien que l'introductif "Black out the sun" sauf qu'elle est trop longue, répétitive et mal placée. 
Le tournant du disque se trouve donc là... Certes, Last in Line a pensé à tout, et le forcément très électrique "Electrified", fils spirituel de "Stand up and shout", est chargé de relancer cette machinerie devenue fort poussive. Mission accomplie, mais pour mieux retomber dans la routine de deux compositions ("Love and war" et "False flag"), l'une mid-tempo et l'autre un peu plus énergique, sans accroches évidentes, glissant telles des gouttes sur une toile cirée... 
Et c'est vraiment dommage de risquer la touche "stop" à ce point, tant le titre final ("The light") relève le niveau... Beau, lumineux, porté par une dynamique implacable et doté d'un refrain bien taillé, "The light" ferme magistralement cet album en dents de scie, mais, vous l'aurez compris, il faudra peut-être faire des coupes franches et zapper quelques passages mitigés ou longuets pour parvenir jusqu'à lui.




dimanche 1 septembre 2019

Exodus : "Bonded by blood"

L'une des tendances actuelles, ouvertement admises par quelques groupes de métal, consiste, lors de la phase d'écriture d'un nouvel opus, à s'enfermer en studio avec un panel d'albums référentiels, histoire de guider leur inspiration ou plus si affinités... "Bonded by blood" fait fréquemment partie de ce type de sélection, étant aussi un incontournable des classements, dans la catégorie "Meilleurs albums de thrash metal".
Faisant partie des pionniers, ayant même abrité en leur sein Kirk Hammett avant qu'il ne parte rejoindre un autre groupe (hum...), les gentils agités d'Exodus déploient, sur ce premier album, leur vision du thrash ; une approche que l'on pourrait qualifier de "juvénile", et pour laquelle le groupe trouvera lui-même la définition idéale deux albums plus tard, à l'occasion d'une phrase culte glissée dans la chanson "Toxic waltz" : "good friendly violent fun" (par la suite, un album live sera ainsi nommé... c'est dire).
Le chanteur, Paul Baloff, qui n'enregistrera qu'un unique album studio (celui-ci !) avec Exodus, réussit l'exploit d'établir une norme, sans pourtant posséder une empreinte vocale phénoménale. Fort d'une énergie sans faille, et sans doute aussi de l'écoute réfléchie de tout ce qui avait déjà été mis sur le marché dans la spécialité "heavy speed" depuis le début des années 80 (Venom, Metallica, Slayer, Exciter), il sait agresser et chanter en même temps, en plus d'avoir compris les techniques applicables à ce type de métal (cette production insidieuse qui entoure la voix d'un halo de reverb...), bien aidé aussi par les chœurs de hooligans de ses complices.
Classique parmi les classiques, "Bonded by blood" possède sa collection d'hymnes qui déboulent. En tête, imparables : "Bonded by blood", "Metal command", le saccadé "Lesson in violence" (qui a été pressenti un temps pour fournir son titre à l'album), sans oublier le plus mesuré et mélodique  "And then there were none", qui surfe carrément sur l'océan des riffs d'anthologie. 
Introduite par l'efficace "Piranha", la deuxième partie du disque marque un peu le pas par rapport à la première. Précédé par une petite pièce instrumentale interprétée à la guitare acoustique, le mid tempo "No love" varie les plaisirs tout autant qu'il fait pas mal retomber la pression. Juste après, "Deliver us to evil" nous réveille avec un riff vraiment "evil" que n'aurait pas renié Slayer. Malheureusement, le morceau s'étale sur un peu plus de 7 minutes et surtout se perd dans le dédale d'une structure complexe pas totalement maîtrisée, ou du moins difficile à suivre... Exodus démontrera par la suite, sur des albums entiers (cf. "Force of habit"), cette incroyable faculté qu'il a d'aligner des riffs au kilomètre, sans se soucier de la digestion de l'auditeur. Enfin la bombe à fragmentation "Strike of the beast" se charge de fermer la marche, sans grande inventivité mais avec une capacité agressive phénoménale.