samedi 29 février 2020

Opeth : "In cauda venenum"

Un petit point sur Opeth : "In cauda venenum" est le treizième album du groupe, et le quatrième (déjà) depuis le changement d'orientation initié en 2011 sur "Heritage" (en gros, l'aspect progressif est toujours de mise, mais le versant purement métal complexe, avec vocaux death, a été abandonné au profit d'une musique aérée et mélodique, à base de chant clair et de rock alambiqué typé années 70)... Un crève-cœur d'essayer de résumer Opeth en quelques lignes, mais bon...
En gros, les suédois ont pris un gros risque : ils auraient pu faillir, mais ils ont pu compter sur une force d'interprétation, de composition et de développement hors du commun. Sans vouloir manquer de respect à Greta Van Fleet, les dignes descendants de Led Zep sont plus à aller chercher du côté d'Opeth, tant ce groupe est florissant et inventif...
Sur "Heritage", la formule est balbutiante et déroutante : souvent jazzy, faisant la part belle aux instruments acoustiques et poussant très loin l'aspect progressif, les morceaux subissent de nombreuses cassures et manquent de dynamique. Il faut souvent tendre l'oreille pour entendre quelque chose... "Pale communion" rectifie le tir : plus cohérent, beaucoup plus rock et moins "labyrinthique", il propose les premières chansons marquantes et fédératrices de cette nouvelle ère ("Eternal rain will come", "Faith in others"...). "Sorceress" continue dans cette voie et durcit le ton : c'est le grand retour de la distorsion décapante (un peu fuzzy, d'ailleurs), tandis que le stock de très bonnes compositions continue de s'accroître ("Sorceress", le très efficace "Era", le subtil "Will o the wisp"...).  
En 2019, "In cauda venenum" est le digne dépositaire de toutes ces années de voyage sur ces nouvelles routes, la synthèse idéale... Progressant d'albums en albums, le chant clair de Michael Akerfledt a maintenant atteint la plénitude de ses nombreuses possibilités, s'offrant même le luxe d'une version chantée en suédois et une autre en anglais. 
La production est parfaite, aussi pêchue que sur "Sorceress", mais sans l'aspect "fuzzy", désormais inutile : dans son nouvel élément, Opeth est redevenu un groupe naturellement puissant... Puissant et subtil : il n'y a qu'à scruter l'enchaînement "Garden of earthly delights" / "Dignity" pour se convaincre que le groupe excelle autant dans l’atmosphérique que dans le gros rock (écoutez  Michael Akerfledt quasiment rugir sur le riff porteur du chant de "Dignity"). Juste après, "Heart in hand" décape, le refrain dynamique et brillant, les couplets blindés de riffs syncopés sans ambages : Opeth est revenu au métal, même si celui-ci n'a plus grand chose à voir avec le death / black de ses débuts... Ce qui n'empêche pas le même "Heart in hand" de se terminer en pièce acoustique ! Incroyable groupe qui propose ensuite une pièce contrastée et très orchestrée ("Next of kin"), dont les parties culminantes rappellent un peu le "Kashmir" de Led Zep, puis une power balade émouvante, superbement chantée et mise en son, avec un très beau solo à la David Gilmour ("Lovelorn crime"). 
Avec "Charlatan", Opeth nous replonge dans ce rock progressif seventies qu'il affectionne tellement : un riff complexe amusant (style machine électronique), un rythme saccadé pas évident, un final planant et flippant avec des samples de voix parlées et de grands chants. 
On continue le voyage : le gracieux "Universal truth", dont les trois parties à tiroir s'enchaînent et se ré-enchaînent avec cohérence ; "The garroter", son groove, son solo et sa batterie jazzy (les balais sont de sortie) ; la puissance pas à pas de "Continuum", qui démarre pourtant de manière assez pop, sur un rythme martial, et s'achève tout en violons et en émotion...
La fin est proche... Mais comment diable conclure une oeuvre pareille ? Rassurez-vous, "All things must pass" s'en charge : puissante, chaloupée et au moins aussi belle que "Faith in others" (sur "Pale communion"), elle évolue de manière inattendue et propose un splendide épilogue pointant vers la lumière et l'infini...
Amis lecteurs, cet album génial et envoûtant s'offre à vous. Mais vous ne le dompterez pas en quelques clics... Il vous demandera patience et dévouement. Personnellement, l'ayant acheté à sa sortie, fin septembre 2019, je ne peux vraiment en parler que maintenant. La marque unique des monuments du rock...



mercredi 26 février 2020

Best albums 2019

1- Rose Tattoo : "Transmissions - On air 1981"
La foire à l'inédit : 4 titres live à la BBC, 4 autres pour Radio Bremen / German TV et 4 extraits du concert à l'Hippodrome de Pantin à Paris (captés pour l'émission "Chorus"). Le son des studios de la BBC est droit et propre, celui de Radio Bremen est tout simplement divin (un mètre étalon à conserver pour tout candidat à une prestation enregistrée en concert), et celui de Paris sent la sueur, la fièvre et les décibels. Une compilation magique, indispensable, agrémentée d'un DVD proposant  les images des shows diffusés par German TV et "Chorus", pour des moments cultes, sauvages et parfois hallucinants.

2- Doom or be doomed : a french tribute to Cathedral
Douze groupes de doom métal français reprenant chacun un titre de la légende défunte de Coventry. Une compilation tellement improbable que sa conception a pris plusieurs années, le temps de réunir toutes ces bonnes volontés. Entre interprétations fidèles et relectures osées, le résultat est là : le doom est toujours vivant et Cathedral plus présent que jamais dans nos cœurs. 

3- Blut Aus Nord : "Hallucinogen"
Encore plus aérien que la trilogie "Memoria Vetusta", Blut Aus Nord réussit la synthèse idéale entre la puissance du black métal 

4- Opeth : "In cauda venenum"
Opeth a enflammé l'automne avec son nouvel opus, le quatrième de la nouvelle ère initié par "Heritage", et sans aucun doute le plus réussi. Des heures de musique en vue, entre découvertes et redécouvertes, tant l'oeuvre regorge de détails subtils (sans oublier d'être diablement efficace).

5- Rival Sons : "Feral roots"
De la fuzz, des riffs et du rock n' roll ; l'un des meilleurs chanteurs du circuit ; le tout au service de mélodies souvent enivrantes et imparables ("Feral roots", "Shooting stars"...).

6- Kadavar : "For the dead travel fast"
Le trio allemand n'en finit pas de grandir et d'évoluer, proposant cette fois à ses disciples son opus le plus sombre.

7- Overkill : "The wings of war"
Fort de sa très longue expérience et d'un nouveau batteur impliqué, Overkill a su enterrer la concurrence avec un album de thrash métal actuel, frondeur et mémorisable.

8- Phil Campbell : "Old lions still roar"
Pendant des années, Phil Campbell, le dernier guitariste de Motörhead, a traîné d'interviews en interviews le spectre de son hypothétique album solo. En 2019, celui-ci est devenu réalité. Avec sa tonne d'invités (comptez déjà un chanteur différent par chanson, ainsi que la présence de Joe Satriani sur l'instrumental final), "Old lions still roar" sait varier les plaisirs, entre hard rock de caractère, métal et ballades, avec une petite saveur "années 90" inattendue. 

9- Cattle Decapitation : "Death atlas"
"Death atlas", ou comment le grind du groupe de San Diego s'est transformé  en une variante progressive surpuissante (merci les incroyables vocaux en son clair de Travis Ryan), avec un effet inédit : le death métal est devenu émouvant.

10- Nocturnus AD : "Paradox"
L'album le plus passé inaperçu de l'année 2019... Sauf qu'en publiant "Paradox", Nocturnus, légende du death technique old school, a réussi a donner une suite cohérente et digne à son concept album cosmique de 1990, "The key". Un voyage dans le temps et dans la science fiction, avec pour vaisseau des structures complexes, des riffs fous, d'incroyables leads de guitares et de clavier et les vocaux écorchés du batteur/chanteur vétéran Mike Browning. 

Rory Gallagher : "Blues"
Hors classement, mention spéciale à cette géniale compilation de 3 CD's (studio / acoustique / live), proposant 32 enregistrements inédits du maître irlandais de la guitare électrique.















vendredi 14 février 2020

Black Sabbath : "Black sabbath"

Note : cette chronique est extraite de l'ébauche d'un recueil consacré au doom métal, que j'avais commencé à écrire en 2006. Chaque album était alors disséqué sous la forme d'un "track by track", afin d'essayer d'être le plus objectif possible.
BLACK SABBATH : “Black sabbath” (1970) Sanctuary
Ozzy Osbourne : voc - Tony Iommi : guit - Terry “Geezer” Butler : bass - Bill Ward : drums
42 : 57

Black sabbath : j’imagine la surprise des auditeurs qui, en 1970, ont posé “Black sabbath” sur leur platine et ont entendu cette véritable messe noire ramper de leurs enceintes... Ou bien, si l’on se réfère aux divers bruitages (pluie, tonnerre, cloche lugubre) qui ouvrent ce bal des sorcières, une pure musique de funérailles drivée par des riffs anormalement lents et plombés, des couplets minimalistes, une voix de possédé ! Et dire que tout cela accélère vers la fin, pile au moment où l’on semblait avoir perdu tout espoir... Ainsi naissait le doom, à travers ce morceau souvent imité mais jamais vraiment égalé. 6 : 21
The wizard : voici le point de départ vers une terre vierge qui, trente ans et des poussières plus tard, n’a pratiquement pas été explorée (sauf peut-être par Earth, à travers l’étrange album
“Hex” ). Parce que si l’on est un dingue de l’étiquetage et que l’on écoute l’harmonica fou de ce
“Wizard”, on peut ici saluer sans problème l’avènement du “country doom” (ou encore “doom pour feu de camp sinistre”). 4 : 24
Behind the wall of sleep : est-ce une chanson ou une leçon de construction de riffs ? En guise d’exemple, les 40 secondes qui séparent la première note jouée de la première note chantée sont un véritable cheminement spirituel, musical et logique. Rarement entendu une structure aussi complexe et parfaite (à se demander si, beaucoup plus tard, les inventeurs des musiques très techniques comme certaines tendances du thrash et du death ne se seraient pas, tout simplement, inspirés de ce genre de morceaux). Ajoutons à cela des lignes vocales d’anthologie et le tableau sera complet. Un grand classique. 3 : 37
N.I.B : la curieuse démonstration de basse qui ouvre “N.I.B” attire déjà notre attention. Puis, le riff principal se montre aussi simple qu’efficace. Les chorus de guitare et autres solos exhalent une beauté baroque inoubliable. Encore un incontournable du groupe de Birmingham et, sans aucun doute, le morceau idéal pour achever cette fantastique face A. 6 : 07
Evil woman : c’est là, en ce début de face B, que l’on bascule vers du “un peu moins bon”. Pas vraiment ésotérique, assez basique, cet “Evil woman” a des relents de vieux rock n’ roll.
Finalement, là où “Black sabbath”, “Behind the wall of sleep”, “The wizard” ou encore “N.I.B” se
posent en pionniers musicaux et enfoncent bien des portes, “Evil woman” reste bêtement ancré
dans son époque. 3 : 25
Sleeping village : l’intro est une sorte de prototype de “Planet caravan” et constitue la seule partie chantée de l’ensemble. Après, on s’engage dans un dédale assez complexe de riffs avec pas tant de points de repère que ça, le tout ramassé dans une durée plutôt compacte. 
3 : 46
The warning : cette grosse jam-session est un des rares morceaux de Black sabbath dans lequel on peut apercevoir les racines bluesy du groupe. A certains moments, surtout sur les nombreux passages instrumentaux, on se croirait presque chez Hendrix ou chez Led Zeppelin ! Il y a du solo de guitare vintage “en veux-tu, en voilà” et, du coup, “The warning” est d’écoute fort agréable. Seulement, un peu comme “Evil woman”, ce n’est pas vraiment ce titre qui a fait avancer le schmilblick du doom... 10 : 32
Wicked world : on ne partira pas fâché, parce que ce “Wicked world” c’est du Black sabbath pur jus ; une sorte de petit frère de “Behind the wall of sleep”. On y retrouve la même science de l’enchaînement de riffs caverneux et géniaux. Et puis, mention spéciale au mystérieux - mais court - passage en arpèges qui se trouve bien calé au centre de cette pépite. 4 : 43

mardi 11 février 2020

Archives Bathory : "Twilight of the gods" (Metal Hammer n°33 - octobre 1991)

Un album unique, marquant, tout comme cette chronique dans laquelle on sent que l'auteur s'est investi corps et âme.
Je l'ai évoquée dans le post dédié à "Hallucinogen" (Blut Aus Nord), peut-être l'un des dignes descendants de ce "Twilight of the gods".
Il était temps de ressortir ce texte, et il est toujours temps d'écouter Bathory.

samedi 1 février 2020

Blut Aus Nord : "Hallucinogen"


Pas si facile de parler de cette entité quasi sans visage, ce laboratoire hexagonal dévoué à la cause du black métal depuis le milieu des années 90. Confiné entre les quatre murs de son studio, le groupe compterait aujourd'hui trois membres pour assister Vindsval, le fondateur du projet, dans sa quête de la formule ultime, de la libération suprême... En 2019, Blut Aus Nord est un vaisseau qui a déjà beaucoup bourlingué, explorant tour à tour, et sans plan de vol déposé à l'avance, les confins les plus épiques, planants, dissonants, violents, modernes ou expérimentaux de l'infinie planète black.
Avec "Hallucinogen", ce sont les fans de la trilogie "Memoria vetusta" qui vont être à la fête : encore plus atmosphérique que "Memoria vetusta II : Dialogue with the stars", cet album marquerait la fin des travaux du groupe au chevet des sonorités noisy et des notes qui font mal (il faut dire que Blut Aus Nord est déjà allé loin, très loin sur ces terres hostiles). Une réorientation que ce nouvel album célèbre avec majesté, gonflé de sa superbe force de propulsion hors de la stratosphère. Une chose est sûre : "Hallucinogen" est conçu, en premier et en dernier ressort, pour rêver, décoller, garder la tête haute (les nombreux riffs épiques : par exemple, ceux du "Nomos nebuleam" d'ouverture). Cette musique est flamboyante, belle, poignante même à certains moments, que ce soit dans la subtilité (le thème sidéral de "Sybellius") ou à travers l'expression de la puissance pure (le blast abrupt et extrême de "Mahagma"). 
Comme souvent chez Blut Aus Nord, les vocaux sont mixés assez en retrait. Cela dépend de leur teneur (chœurs oniriques ou guerriers, grands chants, voix hurlées et écorchées),  mais, du coup, certains morceaux gagnent au passage une aura quasi instrumentale, ce qui a pour effet de renforcer la transe que génère l'écoute respectueuse et appuyée de cet album.
Une cuvée exceptionnelle, pour laquelle j'ai envie de reprendre la phrase mémorable qui concluait à l'époque la chronique du "Twilight of the gods" de Bathory : "Ce n'est pas un simple album, mais un manifeste grandiose à l'usage des voyageurs tri-dimensionnels" (Louis Bourgade - Metal Hammer n°33 - octobre 1991).
Dont acte.