samedi 25 juillet 2020

Masque : "The dead of night"

Masque : ni mauvaise blague, ni jeu de mots douteux en ces temps de pandémie... Mais quand même : si la présente chronique vous intéresse et que vous passez commande, précisez bien qu'il s'agit d'un groupe de métal, sinon vous risquez de recevoir une boîte de 50, jetables, en lieu et place de cette compilation...
Compilation, en effet, éditée par No Remorse Records (comment, une nouvelle fois, vous dire merci pour le boulot que vous abattez ?) et comprenant le fameux EP de 1988 ("The dead of night") et la démo "Confined insanity", enregistrée également en 1988 ; soit, quand on y réfléchit, le pire timing imaginable...
Quelques années plus tôt, Masque aurait pu se prévaloir de la NWOBHM et surfer sur cette vague pour percer, perdurer et ne pas sombrer corps et biens. Car ce groupe, dont les seuls enregistrements sont réunis ici, a su porter haut, même brièvement, l'étendard du heavy métal britannique, à tel point que "The dead of night" est devenu une légende (une légende d'autant plus introuvable avant cette réédition). 
Groupe typiquement anglais donc, et l'on ne cachera pas l'influence évidente d'Iron Maiden sur Masque : des rythmiques galopantes ("Back with a vengeance", "The tell-tale heart"), des breaks typiques ("Watch the children play"), des arpèges aux harmonies glauques façon "Hallowed be thy name" ("The dead of night"), des plans qui renvoient à "Sanctuary" ("Running wild"), à "Murder in the rue Morgue" ("No lights to die by"), à "Purgatory" ("The tell-tale heart")... Sans parler de la basse, forcément assez proéminente... L'ombre de Maiden s'étend indéniablement sur les terres de Masque, mais ces derniers ont quelques atouts pour ne pas rendre cela indigeste ou gênant, au premier rang desquels la présence originale d'une chanteuse (Jo Phipps), dont la voix gouailleuse, puissante et potentiellement haut perchée confère au groupe une empreinte inimitable, aisément reconnaissable. 
Autre cartouche : l'approche juvénile d'un groupe qui n'hésite pas à speeder quand il le faut ("Confined insanity", un peu de blast sur "No lights to die by"), ou encore en appeler à l'énergie vindicative d'un Judas Priest (le refrain de "Running wild", chanson qui n'a d'ailleurs rien à voir avec le morceau du même nom de la bande à Halford). 
Mais ce qui est le plus appréciable, car prémisses possibles de l'évolution de Masque, c'est cet aspect "moderne" qui fait que certains titres, certains passages, certaines structures renvoient au heavy visionnaire de King Diamond. C'est le cas des solis de guitare qui parsèment l'album, du morceau "Confined insanity" (hormis le petit "solo" de basse Maidenien), des nappes de claviers de "The dead of night", des arpèges de "Watch the children play" qui s'insèrent dans la chanson à la façon de "Sleepless nights", de l'intro de "The tell-tale heart"... Il suffit de lire les notes rédigées par Peter Jensko (le bassiste) pour réaliser que le groupe était tout à fait conscient de sa filiation primaire à Maiden et souhaitait  faire un peu le ménage là dedans (ainsi, "Watch the children play" a-t-il été écarté de l'EP pour cette raison). Nul doute que Masque aurait continué à creuser cette voie-là et se serait progressivement écarté de l'orbite de la Vierge de Fer... Le destin en aura décidé autrement.

mercredi 15 juillet 2020

Exodo : "The new Babylon"

Ne confondons pas Exodo et Exodus...
Les premiers sont originaires de la région de Bilbao (Espagne), les seconds viennent de la Bay Area (U.S.A). Les deux groupes ont certes été contemporains, mais Exodo distille du heavy métal, là où Exodus façonne un thrash juvénile et explosif.
Bref, ces formations aux patronymes si proches n'ont vraiment rien à voir l'une avec l'autre...
Et puis, au contraire de ses "collègues" américains, Exodo a disparu dans les méandres de l'histoire ; aussi, la réédition de cet unique album paru en 1988 va certainement surprendre ("Ah bon, il y avait un groupe qui s'appelait comme ça ?") mais surtout ravir !
Avec un cocktail musical mêlant le côté emphatique de Dio à l'aspect dur et tranchant d'Accept, le groupe de Bilbao a vraiment marqué son "The new Babylon" du sceau de la réussite, si ce n'est la production franchement perfectible de cet album. Sur les titres les plus rapides ("Born to be wild", "Thunders in the city", "Sons of the night"), on pense également au speed métal mélodique d'Helloween, et il faut dire que la voix puissante et haut perchée du chanteur y est sans doute pour beaucoup. Remarquable vocaliste (dont le fort accent espagnol rend la prononciation de l'anglais hachée et gutturale, pour un résultat inédit qui participe à la dynamique de cette musique), mais les guitares ne sont pas en reste... Malgré un son hélas un peu "grésillant", on entend heureusement tous les détails. Beau travail en rythmique, mais surtout des solis endiablés qui s'enchevêtrent, et quelques mesures de twin guitars par ci par là. Sur les très speeds "Thunders in the city" et "Sons of the night", le côté néo classique fait des ravages, avec quelques plans vertigineux empruntés à Malmsteen.
Pendant toute l'écoute, "The new Babylon" se déroule tel un tapis rouge, et l'on ne voit pas le temps passer. Le groupe est affuté, bourré de talent et les compositions, variées, sont particulièrement abouties : un break en arpèges façon Metallica au milieu de "Groups of defense" (dont le final original rappelle les trouvailles d'Andy La Rocque chez King Diamond), des nappes de clavier discrètes au début de "Thunders in the city" et pendant le solo de "Sons of the night", le côté héroïque de "Groups of defense" et de "Sex"...
Tout cela pour parvenir à cet incroyable "Heart in flames" (la power balade qui clôt l'album) : de la puissance progressive, du planant à la Foreigner (les nappes de synthé), des choeurs et une mélodie imparable... C'est poignant et ça lorgne de façon inattendue vers un hard FM racé... Décidément, et malgré toutes les références citées ci-dessus, Exodo a vraiment une personnalité propre, pas si facile que ça à appréhender.
Le mieux est d'écouter ce disque, de le découvrir (pour pas mal d'entre nous) grâce à cette réédition prophétique. Au niveau des bonus tracks, pas beaucoup de matériel ni de renseignements : "Mercenario de la noche" (une démo inédite, dont on ne sait pas si elle est antérieure ou postérieure à l'album), une version de "The new Babylon" enregistrée en répétition (qui montre l'excellent niveau du groupe). Mais bon, d'après les notes écrites par le guitariste Enrique "Kike" Villegas, il y avait aussi un single enregistré en 1985 avec les titres "Jezabel" et "Al mira atras" : dommage de n'avoir pas inclus ces chansons, histoire de pouvoir cerner encore mieux ce groupe qui oeuvrait au dessus de la mêlée...

lundi 13 juillet 2020

Ponce Pilate : "Les enfants du cimetière"

Si l'on vous demande, un jour, de sortir le disque le plus étrange, obscur, confidentiel de votre satanée collection, n'hésitez donc pas à exhiber celui-ci...
Oeuvre unique d'un duo (Christian Dussuchal & Yann Parpeix) originaire de la région Centre (Tours / Blois), "Les enfants du cimetière" (1985) se caractérise avant tout par son incroyable degré d'aboutissement, surtout lorsque l'on apprend que tout a été réalisé à compte d'auteur et autoproduit : de l'enregistrement au pressage (500 exemplaires), en passant par la conception de la pochette. Le mensuel "Metal Attack" et quelques radios locales apportent leur soutien au projet, et les disques s'écoulent petit à petit. Aidés par des musiciens additionnels, le duo tente même une participation au Printemps de Bourges, mais Ponce Pilate est finalement écarté des sélections finales, au profit d'un groupe de hard rock plus "conventionnel". Quelques mois plus tard, Christian Dussuchal quitte le navire. L'aventure est terminée.
"Rock païen", rock progressif, hard rock mélodique, traces de métal : la musique de Ponce Pilate est atypique, pas facile à définir. Yann Parpeix, véritable homme orchestre (chant, guitare, batterie, claviers), n'hésite pas à injecter pas mal de synthé et de piano dans l'instrumentation. En fait, les claviers, lorsqu'ils sont présents, ne sont pas de simples décors de fond de mixage : ce sont alors des forces motrices, à égalité avec les guitares, voire carrément mis en avant parfois. 
Alors, on flotte au gré de ces mélodies fort bien ficelées, depuis un "Violence et faits divers" porté par un texte assez "social" et des intonations vindicatives qui rappellent les aspérités de Trust (tout juste atténuées par un délicieux piano bastringue), jusqu'à "La vierge de fer" dont le titre autant que certains passages, basse et guitares toutes voiles dehors, se rapprochent vraiment de Iron Maiden (période "Running free", de toute évidence). Entre temps, on se dit que le lent et ésotérique "Isthar, Vandemm et Gosthal" irait comme un gant au groupe de métal Misanthrope (en guise de reprise), tandis que "Les cloches de l'enfer" (rien à voir avec AC/DC) ou encore "Morphine queen" se la jouent power ballades. Et puis, il y a les morceaux assez sophistiqués dans lesquels le piano est de sortie (le discret "Imagines" et son chorus de guitares jumelles, l'hymne "Ponce Pilate" et sa narration, le provocateur "Les anges de Balthazar" et ses bruitages de plaisir féminin). Là, on pense à Queen, à Savatage, à Uriah Heep... ; bref, à tous ces groupes qui sont allés plus loin que le simple hard rock de base. 
Les textes sont plutôt sombres, mais n'échappent pas, parfois, à une certaine naïveté, voire une voyante  redondance (l'expression "mon corps" qui hante à en avoir mal au coeur "Les anges de Balthazar"). Ce qui est sûr, c'est qu'ils racontent des histoires, des vraies, comme dans ces comédies musicales qui ont si bien égayé la variété française depuis les années 70... Une impression suscitée peut-être involontairement (encore qu'il m'est arrivé de rencontrer d'authentiques métalleux qui se pâmaient à l'écoute de Starmania)... Si l'opportunité d'un deuxième album s'était présentée, Ponce Pilate aurait peut-être gagné à durcir le ton, histoire d'échapper aux vilaines paillettes du samedi soir chez Drucker. Halte aux malentendus.
Une fois de plus, un grand merci aux initiateurs de cette réédition : Christophe Bailet et No Remorse Records. Superbe initiative que de porter à notre connaissance et à nos oreilles cette pièce de choix : l'un des meilleurs albums de rock progressif français ! Comme d'habitude, il y a des bonus tracks issus d'une démo de 1981 : "Elle baise" (superbe faute de goût textuelle autant que musicale, définitivement dézinguée par une voix de tête totalement inappropriée), "Métamorphoses" (qui, comme "Violence et faits divers", rappelle l'univers de Trust), et une version plus simple de "Ponce Pilate" (sans l'intro narrative).

dimanche 5 juillet 2020

The Magpie Salute : "High water II"

Dernier quart de l'année 2019 : parution, comme prévu, du deuxième volet "High water". Seule ombre au tableau : la reformation récente des Black Crowes... Souhaitons donc que The Magpie Salute ne devienne pas une parenthèse sans lendemain. Ce serait un véritable gâchis.
Tandis que nous disposons enfin de l'oeuvre complète, une pensée s'impose : quel dommage que les panneaux du diptyque n'aient pas été fournis en une seule fois. Imaginez "Electric ladyland" en deux livraisons distinctes : aucun sens, n'est-ce pas ? 
... Ou comment susciter les comparaisons incongrues ? Eh bien, comparons (mais utilement).
La suite, la continuité, "High Water II" l'est bel et bien. On notera quand même que ce deuxième chapitre présente une tournure un peu moins acoustique. De temps en temps, l'électricité est même assez débridée (la wah wah overdrivée de "Turn it around", la fièvre de "Doesn't really matter"...). Vu à travers l'angle de son frère jumeau, cela produit un album plus homogène. Initié par le génial "Sooner or later", poursuivi par les rythmes martelés de "Gimme something" et "Leave it all behind", le très orchestré "In here", puis "A mirror" (développement pas à pas, progressif) et les titres déjà cités ci-dessus, on peut même dire que le groove est l'un des composants phares de "High Water II". Du même tonneau, on remarque la présence de chœurs judicieusement construits, qui répondent au phrasé du chanteur John Hogg ("Sooner or later", "Gimme something", "Leave it all behind"). 
Sur tout l'ensemble de "High water" (I et II), la répartition des temps forts , des surprises, des jalons est globalement irréprochable. C'est vraiment une belle oeuvre, et "High Water II" apporte logiquement son lot de petits plaisirs que l'on ne trouvait pas sur "High Water I" (l'inverse étant également vrai) : l'effet big band de "In here" (l'ombre de Springsteen, période "Darkness..." et "Born to run", s'étend un peu sur ce titre), la funk bluesy de "Doesn't really matter", la musique étrange et sinueuse de "Life is a landslide", le côté blues rural lent et légèrement vaudou du morceau de clôture ("Where is this place ?"). 
A réécouter encore et encore.
Mieux : à savourer, si possible, d'une seule traite, les deux albums à la suite !