jeudi 22 février 2018

Immolation : "Atonement"

En 2017/2018, Immolation est synonyme d'une espèce de science appliquée au death métal. Une méthode faite de riffs tordus mais tournant quand même contre toute attente (les premières mesures de "The distorting light", et bien d'autres exemples par la suite), d'harmoniques et autres sifflements incroyables (sur à peu près tous les morceaux, mais on appréciera tout particulièrement la tournerie finale de "Destructive currents"), de solis et chorus réverbérés qui hantent l'espace, semblables à la prière d'un muezzin infernal.
Le travail de Robert Vigna et Alex Bouks sur les guitares est colossal, et il faudrait bien des écoutes supplémentaires pour recenser toutes leurs trouvailles (comme cet effet de violoning lugubre en ouverture de l'écrasant "Thrown to the fire", ou ce passage soudain en son clair sur "Rise the heretics", comme pour mieux ressentir le déchaînement qu'il y avait avant et qui s'ensuivra). Sans dresser une liste d'effets qui pourrait paraître anecdotique, on dira surtout que ces guitaristes se complètent à merveille : à l'unisson, ou bien l'un maintenant la rythmique pendant que l'autre tisse des chorus du diable. Impressionnant.
Autre grand gagnant : le bassiste / chanteur Ross Dolan, qui pose des lignes vocales sur des constructions improbables, et semble mettre un point d'honneur à conférer un format "chanson" aux compositions du groupe. C'est vrai que ce death métal, pourtant très obscur, est particulièrement accessible : les titres démarrent vite, et l'auditeur d'identifier relativement facilement les couplets et refrains, sans avoir l'impression d'être perdu dans un labyrinthe. 
Grâce à tous ces efforts, l'immersion dans cette bande son de la barbarie se passe comme sur des roulettes, d'autant que la production assez claire et puissante permet de percevoir chaque détail. On se souvient du son dark et étouffé des premières réalisations d'Immolation, et c'est le batteur qui doit se féliciter hautement que son kit ne sonne plus comme une boîte en carton. Cette batterie d'ailleurs fort bien mise en avant sur des compositions qui en appellent parfois au tribal : le très saccadé "Above all" et, surtout, le phénoménal "Fostering the divide" qui, sans l'apport d'un batteur de qualité, aurait pu sonner comme un pétard mouillé.
Le réenregistrement du titre "Immolation" (présent sur le premier album "Dawn of possession") est une initiative intéressante. L'essence du groupe y est bien sûr présente, mais en plus monolithique, et avec un cheminement pas toujours simple à suivre. Cette chanson pourra permettre de mesurer la progression des musiciens, et celle-ci est pour le moins impressionnante.

mardi 20 février 2018

Kreator : "Gods of violence"

Thrasher, relève la gueule ! Ton style est parvenu a un incroyable niveau d'exigence. Continue de coller des patchs sur ta veste, mais surtout renvoie à la lecture de cette chronique ceux qui persisteront à te dire que le métal c'est du bruit. 
On connaissait le coup de l'intro grandiose et martiale, et puis, après tout, le "World war now" d'ouverture est une pure tranche de thrash métal, incisive et rapide, digne d'un bon vieux "Violent revolution" et de tant d'autres... Oui, mais ce délicat pont mélodique en son centre ? Bah, n'y pensons plus.
"Satan is real" : mid tempo, puissant, refrain on ne peut plus évident, arrangements façon cuivres du grand orchestre vers la fin. Hum, pas si classique que ça, cet opus...
"Totalitarian terror" à présent. Alors là, on ne nous démontrera pas le contraire : Kreator utilise son riffing typique et intense, celui qui a donné naissance à "Extreme aggressions" par exemple. Entendu, mais songeons à ce chorus aérien qui accompagne les paroles : "We're not afraid to live, we're not afraid to die". Étonnant, non ?
De toutes façons, à partir de ce point, l'album rentre dans une dimension héroïque inédite sur un album de thrash. Les arpèges introductifs de "Gods of violence" peuvent bien rappeler ceux de l'antique "When the sun burns red", l'agencement des guitares porteuses des lignes vocales est un cas d'école pour Kreator ; n'empêche que le refrain fastueux donne juste envie de faire la guerre et de la remporter. 
Il y a vingt ans, "Army of storms" aurait été un titre direct de la trempe de "Coma of souls". En version 2.0, fruit de la cuvée "Gods of violence", il est tiré vers le haut par des twin guitars magistrales et une structure ouverte, qui invite à l'élévation.
Il y a vingt ans, le martial "Hail to the hordes" n'aurait peut-être pas eu sa place sur un opus de Kreator, même si la bande à Mille a toujours été connue pour sa capacité à expérimenter et à progresser (cf. "Endorama"). Ecouter "Hail to the hordes" c'est voir défiler des légions victorieuses sous un arc de triomphe, avec le renfort final des cornemuses d'In Extremo. Frissons !
Vous regarderez le monde d'un peu plus haut en absorbant "Lion with eagle wings". Arpèges et clochettes au démarrage, mais tout le reste n'est qu'explosion superbe, un maxima de puissance et d'orgueil pour décrire une créature aussi fantastique qu'un lion ailé, comme sur les plus beaux ornements des cités antiques.
"Fallen brother" s'inscrit bien dans la progression de cet album. Assez linéaire et lorgnant légèrement vers Rammstein, on pourra presque lui reprocher un côté trop immédiat. Quelques phrases narratives en allemand, pour l'anecdote.
Avec "Side by side" et "Death becomes my light", nous arrivons au bout du voyage, mais il faudra encore franchir ces deux sommets mélodiques. Les plus beaux arpèges composés par Kreator sont contenus dans ces titres, ni plus ni moins. On pourra aussi, pendant quelques mesures, entendre Mille chanter en voix claire (son phrasé faisant d'ailleurs un peu penser à Eric Adams de Manowar). "Side by side" célèbre dignement la rencontre entre le thrash et le heavy métal, tandis que "Death becomes my light", malgré son extrême puissance, parvient difficilement à masquer une grande émotion (peut-être un peu de nostalgie et de fragilité sous la carapace du guerrier). Mais une chose est sûre : Kreator a vu la lumière.



lundi 19 février 2018

RAM : "Rod"

En 2017, les suédois de RAM ont donc poursuivi leur quête d'un heavy métal pur et virile, ancré dans les traditions initiées par Judas Priest. Ce "Rod" (nommé ainsi en référence à la mascotte cornue qui orne les pochettes) est leur cinquième album, et présente l'originalité d'être organisé en deux faces (ou deux séries de compositions), quel que soit le support utilisé.
Démarrage lourd et lent sur les premières mesures de "Declaration of independence", exactement comme savaient le faire les groupes pionniers du thrash (Sacred Reich, par exemple) avant de mettre la gomme. Rien à dire : les riffs et les lignes de chant portent la chanson, au demeurant fort bien structurée, tout comme "On wings of no return" (encore plus évidente) ainsi que le menaçant "Gulag". La "face A" s'achève avec "A throne at midnight", une composition thrashisante et plus hermétique que les trois précédentes, sur laquelle le chanteur Oscar Carlquist déploie toute l'étendue de sa technique vocale, avec des pointes dans les aigus dignes du Métal God.
La "face B" est conceptuelle et propose une série de six titres organisés pour raconter l'histoire futuriste de "Ramrod the destroyer". Six titres, certes, mais trois véritables chansons seulement, puisque "Anno infinitus", "Voices of death" et "Ashes" sont soit des instrumentaux, soit des narrations (soit les deux à la fois). Légère déception donc à l'issue de la toute première écoute, puisque ces plages très synthétiques à la "Blade runner" n'apportent pas grand chose, musicalement parlant... Mais "Ignitor" (premier titre chanté de la "face B") rassure en confirmant la bonne impression laissée par la "série A". Héroïque et conquérant, cette chanson n'est que montées en puissance et frissons. Tout de suite après, on succombe aux arpèges des couplets de la power-ballade "The cease to be", dont la construction (refrains et solis saturés de rigueur) fera immanquablement penser au célèbre "Beyond the realms of death". Encore un mot (et un pouce levé bien haut) pour le bolide "Incinerating storms" : la "Painkiller"/"Resurrection" de l'album, que Carlquist chante presque entièrement (et brillamment) en voix de tête, avant de céder la place à l'ambiance indus façon Terminator de "Ashes".

dimanche 18 février 2018

Belphegor : "Totenritual"

Musique extrême à la croisée des chemins entre death et black métal : une caractéristique ADN permettant à Belphegor de superbement fluidifier son propos, et mettre bas une symphonie noirâtre dédiée aux forces du mal.
Tout coule de source donc, avec une remarquable capacité d'accélération : titres pied au plancher ("Baphomet", "The devil's son" et surtout le court final "Totenritual") ou plus nuancés, avec passages éclairs du calme à la tempête (toutes les autres chansons, mais en particulier l'étrange "Embracing a star" qui contemple et manque en permanence de s'embourber, puis décolle aux moments les plus inattendus). 
Groupe non passéiste officiant depuis 1991, Belphegor s'inscrit bien dans son époque en utilisant tout un arsenal d'effets : growls à géométrie variable de la part de son vocaliste / guitariste Helmuth, guitares épaisses correctement sous accordées, petits raclements vicieux dignes de Gojira ("Baphomet"), double grosse caisse qui clique à foison.
Il n'est pas rare, chez Belphegor, de jeter des ponts vers la musique classique, dont le faste et la puissance servent à merveille la cause de ces Autrichiens infernaux. Sur "Totenritual", la chanson "The devil's son" célèbre le musicien virtuose Paganini, fortement soupçonné en son temps d'avoir pactisé avec le diable. Il n'y a rien de précisé dans le livret, mais il se pourrait bien qu'Helmuth ait emprunté quelques lignes mélodiques au célèbre compositeur italien (ou du moins se soit bien inspiré de son oeuvre) tant ce titre respire le concerto ou la musique de chambre. 
En parlant de techniques expertes, on appréciera particulièrement les chorus malsains (souvent préludes à un solo de guitare) qui parsèment la plupart des compositions. Il est clair que ces gens-là ne jouent pas avec les mêmes gammes que le commun des mortels ! Encore une occasion de glorifier le malin et de fustiger les religions.

samedi 17 février 2018

Best albums 2017

 1- Kreator : "Gods of violence"
Une maîtrise exemplaire de l'instrumentation et de la composition, qui transporte le thrash dans une dimension héroïque et vénérable.

2- Black Country Communion : "BCCIV"
La voix de Glenn Hugues, intacte, est une machine à bien être, sur fond de sons analogiques et chaleureux. Tandis que tous nos héros disparaissent ou prennent leur retraite, Black Country Communion maintient la flamme d'un hard rock racé et indispensable.

3- Greta Van Fleet : "From the fires"
Venu de nulle part, ce très jeune groupe propose des sensations dignes de Led Zeppelin, mais aussi la plus belle collection de chansons parue en 2017. C'est bien simple : 8 titres, 8 merveilles. Longue vie à Greta !

4- Kadavar : "Rough times"
L'album de la maturité et de la diversité. Même si la pochette n'est pas le point fort, toutes les facettes du groupe, de la plus velue à la plus arty, sont ici célébrées avec succès.

5- Blues Pills : "Lady in gold - Live in Paris"
Un beau voyage dans des sensations vintage, avec une chanteuse digne de Janis et une guitare beaucoup plus mise en avant que sur les enregistrements en studio.

6- Immolation : "Atonement"
Le niveau d'expertise est étonnant. C'est toujours du death metal pur et sombre, mais en version 2.0, tellement l'inventivité et le dosage des ingrédients sont au point.

7- Rage : "Seasons of the black"
Rage continue sur sa nouvelle lancée. A la collection très efficace de riffs 2017 et de refrains toujours revigorants, s'ajoute un addictif E.P : Peavy et ses deux jeunes complices ont réenregistré 6 titres d'Avengers (le groupe pré Rage). Conclusion : un package métal indispensable !

8- With the Dead : "Love from With the Dead"
Parce qu'il y a un avant et un après à la descente funèbre "Watching the ward go by"... Aussi, pour la voix de Lee Dorian, le doom et l'exceptionnelle viscosité du son. Écrasant !

9- Muddy Waters / The Rolling Stones : "Live at Checkerboard Lounge"
Les raisons de la présence d'un opus dans un "best of" peuvent être fort variables... Mais s'il devait y avoir un dénominateur commun, ce serait le côté inoubliable du produit sélectionné. Eh bien voilà, nous y sommes. Ce petit live perdu, enregistré en 1981, renaît en 2017 pour le plus grand bonheur des amateurs de blues. La musique, le son, l'histoire, le mythe : sûr que l'on gardera longtemps sous le coude ce "Live at Checkerboard Lounge"...

10- RAM : "Rod"
Un album de vrai métal, en toute simplicité et en toute efficacité.