samedi 28 décembre 2019

Enforcer : "Zenith"

Enforcer est un groupe de heavy métal suédois, faisant partie de la NWOTHM (New Wave Of Traditional Heavy Metal). Après quatre albums studio purs et assez virulents (les premiers flirtant même franchement avec le speed sans concession des années 80), Enforcer publie ce "Zenith" en 2019 et propose une variante de style assez prononcée. La cause heavy n'est pas reniée, et des passerelles permettent toujours au groupe de retrouver son passé musical assez cru, mais il est clair que ce disque "cul entre deux chaises" lorgne fortement vers les pans les plus mélodiques du hard et du métal... 
Dès l'introductif "Die for the devil", c'est très clair : Enforcer a dans sa ligne de mire le Scorpions de "Rock you like a hurricane". Mais bon, passé l'effet de surprise, il faut bien admettre que le titre fonctionne et, malgré son côté caricatural, n'est pas ridicule. 
Sur "Zenith of the black sun", on pense à la veine la plus commerciale de Judas Priest (période "Turbo" / "Ram it down"), avec une petite touche "Flight of Icarus" (la rythmique en cavalcade lente)... Étonnement mesuré, là encore, mais chanson intéressante et bien balancée.
Troisième titre : "Searching for you". Ici, on retrouve assez bien l'ADN habituel d'Enforcer (en beaucoup plus chromé). On avance encore : "The end of the universe", très réussie, fonctionne de la même manière, mais avec un profil héroïque assumé, tandis que "Thunder and hell" propose la dose de heavy speed linéaire et nécessaire.
Assez décousu tout cela, mais attendez, ce n'est pas fini.
Entre temps, les arpèges au piano de "Regrets" ont envahi l'espace. Le thème musical est beau, ingénieux, et la chanson évolue judicieusement en power ballade, mais sans jamais effleurer la puissance d'un "Still loving you" (ni même la puissance tout court). Malgré des qualités au départ, les planètes ne s'alignent pas vraiment, et, au final, on frôle l'indigestion.
Quelques encablures supplémentaires, et voici "Sail on" qui vient ratisser dans le jardin de Dio. Le rythme saccadé est atypique, intéressant, les chorus de guitare sont convaincants et il se dégage de cette chanson, coincée entre hard rock et heavy, un feeling détendu, positif, presque fun. On se surprend vite à fredonner le refrain, ce qui fait de "Sail on" une bonne réussite, même si l'on se doute bien que ce titre, assez léger et un peu "pirate metal" sur les bords, va diviser les fans.
En parlant de susceptibilité à ne pas trop titiller, une envie folle nous dicte de condamner d'emblée "One thousand years of darkness", dont les riffs sont maladroitement soulignés par des traits de claviers joufflus, typés AOR pire jus. Attendez donc le solo néo classique (guitare, puis synthé) : déboulant de nulle part, et plutôt virtuose, il pousse le morceau dans une autre dimension, et renvoie aux disques d'Yngwie Malmsteen parus dans les années 80, ce qui fait définitivement mieux passer la pilule... avant la sortie de route...
Un cocktail pop / rock occulte / glam mal dosé, et "Forever we worship the dark" ne parvient qu'à proposer une mauvaise parodie de Ghost, avant de s'enliser définitivement dans la crème au beurre. Énième changement de style (décidément Enforcer a vraiment eu des problèmes de boussole sur ce disque) : "Ode to death", titre aux prétentions grandioses, ascenseur vers un Manowar boursouflé (pas celui de "Black wind fire and steel", malheureusement), mais dont la cabine reste coincée entre deux étages, vers le bas de la cage, faute d'inspiration. 
Une fin d'album assez malheureuse donc ; et ce qui est d'autant plus dommage, c'est que le bonus track ("To another world") s'en tire, lui, assez bien, sorte de mix entre de bons riffs à la Priest et un refrain inspiré façon "Monstrance clock" (Ghost, mais on pardonne). 
Souhaitons à Enforcer de tirer les leçons positives (il y en a, beaucoup même) ou négatives de son millésime 2019, et de poursuivre sereinement, avec lucidité, l'évolution qu'il a entamée.


mardi 24 décembre 2019

Workshed

Mark Wharton (batterie) et Adam Lehan (guitare), deux anciens d'Acid Reign et des débuts de Cathedral, se retrouvent pour jammer en 2014, après un très long break. Des morceaux naissent, sont enregistrés sans but précis, et il n'en faut pas plus pour que leur vieil ami Lee Dorrian, immédiatement séduit, les accueille sur son label Rise Above et programme une sortie officielle en septembre 2019. L'acte de naissance de Workshed aux yeux du monde, qui, de simple projet, devient groupe et album éponyme. 
D'emblée, dès la première écoute, nous sommes tout de suite saisis par le rendu très gras des guitares, mais aussi par le groove implacable qui émane de la plupart des morceaux. 
La musique de Workshed est étiquetée "sludge / doom", et c'est vrai que le son est plutôt raccord avec ces qualificatifs. Après, en ce qui concerne le sludge pur jus, ce sont surtout les deux derniers morceaux ("Safety behaviours" et "It doesn't have to be that way"), d'ailleurs enchaînés l'un à l'autre, qui pourraient prétendre à ce qualificatif. Quant au doom, bien que la plupart des compositions comportent des petits breaks bien lourds, on ne rangera vraiment sous sa bannière que l'étouffant "A spirit in exile", et le plus versatile "Anthropophobic" (pour ses mesures qui défient les lois du bpm).
Mais alors, qu'en est-il du reste de l'album ? Eh bien, avant tout, le sentiment que l'on a affaire à du métal, au sens très large du terme. Par exemple, le phrasé, qui renvoie souvent à Celtic Frost, ou encore "Nowhere to go" (prix Nobel du groove) et "On sticks of wood" qui, en plus de faire un malheur, adressent des clins d’œil à Slayer, lorsque celui-ci s’essayait à tempérer / moderniser son propos en ralentissant le tempo (certains titres de "Seasons in the abyss" ou encore "Diabolus in musica"). 
Mais le plus remarquable sur ce disque, c'est l'affiliation sous-jacente et quasi permanente avec le mouvement hardcore et l'esprit crust (la pochette anarchiste et dérangeante, en noir et blanc, ne pourra en aucun cas dire le contraire). Dès l'entame ("The windowpanes at the Lexington"), on se prend dans la tronche cette ouverture vers le punk forniquant avec le métal, sans parler des premiers jalons de "If this is how it is" qui font penser aux riffs de Biohazard. Un peu plus loin, les passages tout à fond de "This city has fallen" achèvent d'enfoncer le clou et de faire vibrer les crêtes. 
Une fois de plus, Lee Dorrian a eu du flair... L'une des grosses bonnes surprises de l'année.



mercredi 18 décembre 2019

Blood Ceremony

Première carte de visite pour ce groupe Canadien signé chez Rise Above Records, indice fort qu'il y a certainement quelque chose à creuser ici bas...
Accueillis assez longuement par un orgue aigrelet, qui débouche ensuite sur une instrumentation vintage portée par une production remarquable de naturel, nous pénétrons, via le très réussi "Master of confusion", dans le proto-doom psychédélique, progressif et occulte de Blood Ceremony.
La chanteuse, Alia O'Brien, a une voix envoûtante et sensuelle (nous sommes quelques années avant l'apparition de Blues Pills). Elle se charge, en outre, des parties d'orgue électrique, mais aussi de l'arme "secrète" du groupe, dévoilée dès le deuxième titre ("I'm coming with you") : la flûte traversière, dont on peut d'ailleurs carrément dire, après l'écoute complète de l'album, qu'Alia est virtuose ! Nul doute que Lee Dorian, patron du label Rise Above Records, a dû flasher sur ce détail, lui qui a su, en son temps, envelopper deux compositions du mythique "Forest of equilibrium" (Cathedral) d'inoubliables chorus de flûte traversière.
Mais revenons à Blood Ceremony... Tout cet assemblage musical, pas agressif pour un sou (ne cherchez pas ici de heavy doom) mais fort agréable à écouter, nous ramène à la fin des années 60, ainsi qu'au tout début des années 70. 
Black Sabbath est une influence assez évidente à pas mal de moments. On l'entend parfois à l'occasion de breaks pouvant déboucher sur de petites accélérations (le final de "Master of confusion", la transition centrale de "Return to forever" qui utilise quelques mesures bien connues de "Electric funeral") ou de nets ralentissements ("Return to forever", "Hop toad" juste après le crapaud qui coasse, "I'm coming with you", "Hymn to Pan"...). L'ensemble du morceau "Into the coven", par exemple, est lui aussi très typé Black Sabbath, et ce dès l'introduction. Même topo pour la majeure partie de "Children of the future".
L'ombre de Black Sabbath, donc, mais pas seulement... Egalement, des couleurs psychédéliques chatoyantes (la flûte qui virevolte autour du pourtant doomy "I'm coming with you", la relative bonne humeur de "Hop toad", le break entraînant de "Children of the future", le remarquable solo de flûte de "Hymn to Pan"...) et des touches de délicate musique médiévale (l'instrumental "A wine of wizardry", "The rare lord", quelques chorus à droite à gauche au fil des chansons...).
On terminera par l'aspect progressif de cette musique : clairement, plusieurs influences se rencontrent ici. A l'intérieur d'un même morceau, les breaks (qui peuvent conduire à l'arrêt total de la musique qui repart alors sous une autre forme, comme pour "Children of the future", par exemple) servent à faire cohabiter tout ce beau monde sous le même toit.


dimanche 8 décembre 2019

Doom or be doomed : a french tribute to Cathedral

Une gestation longue durée (plus de 3 ans) pour un produit franchement exceptionnel. 
Doomsters convaincus, ou simples amateurs de heavy, on a presque tous dans le cœur un morceau, un album, un visuel de Cathedral... Sans compter cette piqûre d'épine mal cicatrisée qui a découlé de l'arrêt des activités du groupe...
Cathedral : le groupe qui a ouvert le doom vers d'autres horizons, beaucoup plus mortifères et torturés que ce que proposaient les classiques Black Sabbath, Saint Vitus, Candlemass...
Une influence tellement forte qu'en 2019, douze groupes français reprennent douze titres du maître, pour un hommage en forme de messe noire inespérée. 
Certes, la répartition est un peu bancale (*), mais elle vient des tripes : "Forest of equilibrium" se taille logiquement la part du lion (le disque parfait, l'inoubliable baffe), "The ethereal mirror" le suit (d'assez loin), et certains albums ne sont pas représentés du tout (il paraît que Lee Dorrian, consulté sur le projet, a légèrement tiqué en constatant qu'aucune chanson du légendaire "The carnival bizarre" n'avait été choisie). 
Mais ne crachons dans la soupe, d'autant que celle-ci est vraiment fameuse. D'ailleurs, c'est bien simple : aucune des reprises ici présentes n'est ratée !
On peut, par contre, les catégoriser, histoire d'y voir plus clair dans les méandres de ce double album.
Il y a celles que l'on qualifiera de "respectueuses de l'original" : au hasard, "Mourning of a new day" (reprise par Pillars, en configuration live dans le studio), "Ebony tears" (par Goat River), "Equilibrium" (par Presumption : pas de modification mais une interprétation impériale), "Voodoo fire" (par Northwinds, qui a bien gardé l'esprit vaudou du morceau, modifiant juste le sample de film d'horreur servant de transition centrale), "Congregation of sorcerers" (par Father Merrin, à qui cette compo bien lourde va comme un gant).
On entre ensuite dans le registre des modifications. 
Misanthrope a traduit le texte de "Soul sacrifice" en français ("Le sacrifice de l'âme") et a achevé de s'approprier la chanson, l'emmenant, pourtant sans mutation structurelle, se balader à la frontière des territoires thrash, grâce à leur son typique et très heavy. 
Autre remarquable traduction dans la langue de Molière, celle de Barabbas, pour qui "Ride" est devenu "La cathédrale de la sainte rédemption". Non contents de la faire entrer dans leur univers, ils ont aussi revu son organisation, notamment en ce qui concerne les premières mesures. Chez Dionysiaque, c'est la fin de "This body, thy tomb" qui a été retravaillée, en format beaucoup plus court et speed que l'originale (au passage, excellente idée de se replonger dans le "testament" de Cathedral, puisque tout dernier titre de son tout dernier album). Après l' accélération, place au ralentissement : Conviction reprend le haut en couleurs "Stained glass horizon" en diminuant drastiquement le BPM, et la chanson pénètre dans une autre dimension, gagnant au passage une majesté insoupçonnée.
On passe maintenant aux arrangements. Ceux de Lux Incerta, dont les claviers, parfois discrets, parfois héroïques, apportent une valeur ajoutée au toujours très doom "Serpent eve". Encore plus loin, les doomsters modernes de Monolithe propulsent "Enter the worms" dans l'espace ("Enter the worm(hole)s"), à coups de nappes synthétiques somptueuses et en lui conférant un groove et une dynamique absolument imparables.
On garde bien sûr le meilleur pour la fin... C'est le travail d'Ataraxie, qui s'est attaqué au monumental "Reaching happiness, touching pain" en remplaçant la flûte traversière originelle par un saxophone free jazz, pour un résultat respectueux et époustouflant à la fois...
Bravo !


* La liste des morceaux de la compile, classés par EP et albums d'origine :
- In Memorium EP : "Mourning of a new day", "Ebony tears"
- Forest of equilibrium : "Ebony tears", Serpent eve", "Soul sacrifice", "Equilibrium", "Reaching happiness, touching pain"
- The ethereal mirror : "Ride", "Enter the worms"
- Statik majik EP / Cosmic requiem EP
- The carnival bizarre
- Supernatural birth machine : "Stained glass horizon"
- Caravan beyond redemption : "Voodoo fire"
- Endtyme
- The VIIth coming : "Congregation of sorcerers"
- The garden of unearthly delights
- The guessing game
- The last spire : "This body, thy tomb"

jeudi 5 décembre 2019

Black Star Riders : "All hell breaks loose"

A l'origine, c'était assez simple : ce groupe, formé autour du vétéran Scott Gorham (Thin Lizzy), avec Ricky Warwick (The Almighty) au chant et une poignée de mercenaires, devait permettre à un phénix de renaître de ses cendres et s'appeler... Thin Lizzy. Mais Scott Gorham, peu avant de rentrer en studio, finit par prendre une décision raisonnable : ne pas toucher à la légende (au risque de l'altérer), rebaptiser le projet ("Black Star Riders") et, même, tenter de s'éloigner le plus possible de l'ombre musicale de Thin Lizzy.
Concernant ce dernier vœu, il est tout de suite possible d'affirmer qu'il ne s'est pas vraiment réalisé (ou alors pas totalement, loin de là). De tous les groupes en activité aujourd'hui, Black Star Riders est bel et bien le meilleur et le plus évident dépositaire de l'héritage Thin Lizzy, à quasi égalité avec les suédois de Dead Lord. 
Bien sûr, si l'on écoute uniquement "Blues ain't so bad", ce cousin éloigné du "Motorcity is burning" de MC5, on peut franchement oublier la bande à Phil Lynott. Constat similaire mais un peu plus nuancé avec "Kingdom of the lost" : pourtant très "celtique", le morceau rappelle davantage les efforts récents de Black Country Communion. On est trop dans le cliché.
Avec "All hell breaks loose" et "Bloodshot", c'est assez neutre (en somme, une personnalité propre qui commencerait à émerger), mais chaque chorus de guitare(s) ramène impitoyablement au groupe mythique qui a composé "Jailbreak". Même constat pour "Before the war" qui, en plus, est trahi par son côté héroïque. 
Et lorsque l'on aborde "Bound for glory", "Hey Judas" ou encore le très enjoué "Someday salvation" (et ses "Sha na na na..."), c'est pour nager dans un océan de guitares jumelles et de riffs saccadés qui enveloppent les mélodies de manière si caractéristique... Là, c'est du Thin Lizzy pur jus. Faites abstraction de tout cela et écoutez le menaçant "Hoodoo voodoo" : au-delà de tous ces détails harmoniques (qui sont d'ailleurs bien présents), ce sont aussi les lignes de chant qui nous ramènent au rivage (le pont juste avant le solo : incroyable de mimétisme avec les tics favoris du grand Phil).
Qu'on ne se méprenne pas sur cette démonstration : tous les titres cités ici (ou non) valent le détour. Du bon hard rock mélodique, expert et très bien interprété. Le léger problème de Black Star Riders, c'est son placement, et seule la suite de sa carrière pourra indiquer si le groupe ne fait qu'employer brillamment une bonne vieille recette, ou peut carrément se l'approprier...