jeudi 24 octobre 2019

Venin : "La morsure du temps"

Il y a Venom, mais il y a aussi Venin ! Et, quitte à surprendre jusqu'au bout, ce groupe originaire de Marseille (France) est sorti de l'ombre en 1982, soit peu de temps après - voire simultanément - les emblématiques "Welcome to hell" et "Black metal". Mais bon, arrêtez deux minutes de saliver, car musicalement le heavy rock de Venin n'avait - et n'a toujours - rien à voir avec le proto black metal punkisant des diablotins de Newcastle (Venom, donc)...
Et comme de nombreux combos de heavy rock français des années 80, Venin a connu une carrière éphémère : une démo, donc, en 1982, une autre plus conséquente en 1984 et un mini album 4 titres en 1986 (un maxi 45 tours, pour être précis)... Et le groupe se sépare dans la foulée, non sans avoir écumé les scènes locales pendant ses quelques années d'existence.
Mais en 2014, ça recommence à chauffer puisqu'un label spécialisé (Cameleon Records) réédite 400 copies du mini LP de 1984. En 2015, c'est un autre label tout aussi pointu et passionné (Mémoire Neuve) qui presse 500 exemplaires de la démo 7 titres de 1984 ; tandis que, dans la foulée, Cameleon Records en profite pour tout rééditer (la démo + le mini LP) en une seule compilation CD (1 000 exemplaires). Les astres s'alignent, et le groupe, certainement bien émoustillé par le petit buzz qui se crée autour de son nom, se reforme autour de trois membres historiques (seul le batteur est remplacé).
Une belle histoire, et surtout, en 2018, un aboutissement : le premier album dont le groupe a toujours rêvé, le voici enfin... 
"La morsure du temps" (c'est son titre) est très affûté, sans temps mort, cohérent. La plupart des titres semblent même reliés par un thème commun : le temps qui passe, la nostalgie, les souvenirs... Ce doit être des chansons récentes, car nous savons que Venin a aussi "recyclé" des compositions d'époque restées inédites ("Trafiquant de rock", par exemple). Les textes dans la langue de Molière participent au charme du produit. Comme chez pas mal d'autres groupes de heavy originaires de ce beau pays, ils sont assez "premier degré", mais plutôt dans la moyenne haute (cf. le jeu de mots "La raison du plus fou"), évitant ainsi de plonger dans le cliché, voire la niaiserie. Et puis, le chant vindicatif et sûr de Jean-Marc Battini se charge d'emballer le tout : dénué d'inutiles montées dans les aigus, son timbre clair, puissant et virile enfonce les clous, trace la route, gomme les aspérités.
Il faut dire que l'une des grandes forces de ce disque, ce sont les refrains, aucun n'étant dispensable. Un gros travail sur les chœurs est également à signaler : c'est dire à quel point les lignes vocales sont choyées chez Venin.
Quelques riffs mémorables se chargent d'asseoir le tout : "La morsure du temps", "La faute aux souvenirs" (qui bascule d'ailleurs sans complexe vers un heavy metal à la Priest, avec un duel de guitares très convaincant), "La raison du plus fou"... pour ne citer que les meilleurs ! Quelques chorus mélodiques sont aussi de la partie : les introductions de "Guet-apens" et de "L'instant", les courtes transitions dans "Les tourments", le final de "Souviens-toi de moi" (power ballade démarrant assez mollement, mais avec une montée en puissance cohérente, débouchant sur des chœurs de stadium puissants et inattendus).  
On finira avec un tout petit mot sur la production : impeccable !
Superbe album, inespéré,  pour tous les passionnés du genre, et qui saura vous faire de l'usage...


dimanche 20 octobre 2019

Vulcain : "Compilaction"

En ces temps de réédition du catalogue - devenu difficilement trouvable - de Vulcain (cf. le coffret "Studio albums 1984 - 2013" paru il y a quelques jours chez Season of Mist), penchons-nous un instant sur cette compilation de 1997 (due, à l'époque, au valeureux label XIII Bis Records, prompts eux aussi à rerendre disponible ce qui a disparu des bacs depuis belle lurette).
Sous son emballage un peu tristounet, et son livret réduit comme une peau de chagrin, "Compilaction" abat un boulot phénoménal : le meilleur de Vulcain, inaltérables forgerons français du heavy, de la période speed à la Motörhead des débuts (1984 : l'album "Rock n' roll secours") jusqu'au gros rock assez lisse et sophistiqué de "Big bang" (1992). 
Et pour le coup, chaque album est représenté, y compris l'EP "La dame de fer" de 1985 et le disque enregistré en public "Live force" de 1987 (une version culte et enfiévrée de "La digue du cul"). De façon prévisible et logique, "Rock n' roll secours" et son successeur "Desperados" se taillent la part du lion (4 hymnes incontournables pour chacun), suivis de près par "Transition" et "Big bang" (3 titres chacun, de fort bonne facture d'ailleurs). 
Seul le troisième album, "Big brothers", ne fait pas vraiment le plein : ici, il n'y a guère que le tube "Soviet suprême" (à l'inoubliable texte) pour sauver les meubles. Certes, entre rock, speed, balade, chanson paillarde et j'en passe, le disque se voulait assez éclectique et ouvert, mais franchement les très efficaces "Kadhafi", "Faire du rock", "Grand prix", "Les plaisirs solitaires" ou même "22" auraient pu faire bonne figure, ne rompant aucun cas avec la tradition musicale du groupe... Dommage.
Sans doute trop récent, nous ne trouvons aucun titre de l'album éponyme de 1994 (qui a vu le gang se transformer en power trio et durcir le ton, avec une production sèche et assez compressée) si ce n'est la présence de deux inédits du même millésime ("D.D.H - Les droits de l'homme" et "S.O.S"), chutes de studio ou démos bien avancées probablement issues de ces sessions, mais sur lesquelles aucune information n'est disponible. Le "Atomic live" de 1996 n'est pas représenté non plus.


dimanche 13 octobre 2019

Anathema : "Eternity"

Note : cette chronique est extraite de l'ébauche d'un recueil consacré au doom métal, que j'avais commencé à écrire en 2006. Chaque album était disséqué sous la forme d'un "track by track", afin d'être le plus objectif possible.
The red digipack limited edition
Inside booklet & original cover
ANATHEMA : “Eternity” (1996) Peaceville
Vincent Cavanagh : guit & voc - Daniel Cavanagh : guitars - Duncan Patterson : bass - John
Douglas : drums
1 : 08 : 39

Sentient / Angelica / The beloved : un album qui commence par ces 3 morceaux, différents mais plus ou moins connectés entre eux ou complémentaires, ne peut pas être mauvais. “Sentient”, c’est l’instrumental bouleversant comme la naissance d’un enfant (dont on perçoit un instant le sample de ses pleurs) ; “Angelica”, c’est le tube planant qui permet de se libérer de la pesanteur et dont la mélancolie et la progression dramatique laissent sans voix ; “The beloved”, c’est la chanson énergique qui autorise l’auditeur à redescendre sur terre après tant de rêveries.
Eternity part 1 : derrière ses beaux arpèges, “Eternity pt.1” est un titre assez frénétique, comme s‘il traduisait une révélation tardive et urgente (“Do you think we‘re forever ?”). Les vocaux sont en voix claire (comme sur tout le reste de l’album), mais Vincent Cavanagh y joue les écorchés vifs.
Eternity part 2 : un bel instrumental atmosphérique de 3 : 11, qui se déploie lentement, comme l'éternité...
Hope : avec cette chanson, Anathema donne le coup d’envoi des différentes reprises de Pink Floyd qu’il effectuera par la suite, en concert principalement. Une bonne cover, très cohérente avec le reste du disque.
Suicide veil : avec sa lenteur, sa tristesse et ses nombreuses poses acoustiques ou en arpèges, ce morceau peu enlevé se pose comme une sorte de réminiscence évidente du passé doom mélancolique du groupe.
Radiance : on continue dans la lenteur, avec des arpèges clairs et pas trop de distorsion. La suite de “Suicide veil”, un soupçon d’énergie en plus (surtout vers la fin, lorsque le tempo s’agite et que la guitare intervient en solo).
Far away : un bon titre mélancolique, d’apparence simpliste mais qui entête rapidement. Anathema écrira beaucoup de titres dans la même veine, voire assez ressemblants (on pense par exemple à “Don’t look so far” sur l’album Judgement).
Eternity part 3 : ce titre est un doom atmosphérique dont la particularité, par rapport à l’ensemble du disque, est de recourir majoritairement à la grosse distorsion. Le chant est très vindicatif.
Cries on the wind : les couplets utilisent un accompagnement minimaliste, quasi inaudible, sur lequel Vincent Cavanagh vient poser une voix circonspecte. La grosse armada du groupe intervient entre les deux et crée un contraste saisissant. Le morceau se termine en monologue d’un désespoir absolu.
Ascension : on dirait un peu une variation purement instrumentale de “Angelica” ou un petit cousin de “Sentient”. Très agréable à écouter, ce morceau se termine sur une partie de piano cristalline : même son que celle qui ouvrira l’album suivant.

La version digipack rouge (édition limitée) de “Eternity” contient en bonus des versions acoustiques de bonne facture de “Far away” et de “Eternity part 3”.






mercredi 9 octobre 2019

Destruction : "All hell breaks loose"

L'album de la renaissance, et du retour de Schmier, bassiste / chanteur / co-fondateur du groupe. Après une décennie de tourmente et d'errances, l'institution thrash allemande est enfin remise sur de bons rails avec ce méfait paru en 2000, optant judicieusement, comme à ses débuts, pour le format power trio. Aux côtés de Schmier, on trouve l'indéboulonnable guitariste Mike Sifringer, scientifique et stakhanoviste du riff, et un nouveau batteur, Marc Reign. Ajoutons à cela une pochette d'une laideur sans pareil, et l'on peut dire que tous les éléments constitutifs d'un bon disque de Destruction sont sur la rampe...
Souvent présent sur les samplers des magazines spécialisés de l'époque, "The butcher strikes back" se charge d'annoncer la couleur. Musicalement, la chanson a l'étoffe d'un futur classique et porte, en plus, un message fort : le boucher fou, mascotte des premières heures du groupe, fait partie de ce nouveau voyage... Et comme un autre clin d’œil à  "Mad butcher", morceau présent sur "Sentence of death" (le premier EP paru en 1984), cette nouvelle galette propose un ré-enregistrement du très primitif "Total desaster" (rebaptisé "Total desaster 2000"), lui aussi figure légendaire de l'EP mentionné ci-dessus. Décidément, la soif de convaincre du groupe paraît sans limite, organisée tel un plan de bataille minutieux...
Autre source de conviction, l'écoute intégrale de "All hell breaks loose". Nous savons à quel point un album de thrash moyen peut être lassant et rébarbatif, mais ici il n'en est rien. Un grand merci aux titres "coups de poing immédiats" qui parsèment le track listing : "The final curtain", "Tears of blood", "The butcher strikes back" (déjà mentionné), ou encore le très rampant "X-treme measures". Pour tous ces "hymnes", souvent bâtis sur des rythmes différents, ne cherchez pas : l'assimilation est quasi instantanée. Sur d'autres chansons, il faudra décortiquer un peu plus, et accepter d'intégrer les riffs improbables mais passionnants de Mike, le guitariste : structures montantes et descendantes ("Devastation of your soul"), séquences musicales sur le fil du rasoir ("All hell breaks loose"), groove venu d'une autre galaxie ("Visual prostitution"). 
Seule la production peut faire l'objet de quelques remarques, notamment le son un peu trop saturé et gonflé des guitares, qui tendrait presque à lisser les petits détails, pourtant très importants et croustillants dans la musique de Destruction. Même schéma en ce qui concerne les lignes vocales : souvent doublées, triplées voire quadruplées, elles sont omniprésentes et peuvent parfois étouffer le propos, là où plus de discernement dans les interventions aurait certainement fait gagner encore plus de puissance.

samedi 5 octobre 2019

RAM : "Subversum"

Quatrième album pour cette formation suédoise de "vrai heavy métal", et probablement le plus impressionnant, et aussi le plus abouti. 
Fils avéré de Judas Priest, RAM atteint ici l'acmé de ce qui constitue son originalité propre : ce côté sombre et tyrannique, comme si une junte militaire dangereuse, sans pitié, mais sensible à la beauté froide et puissante de la musique leur avait commandé la bande-son de ses cérémonies, dans des stadiums que l'on imagine immenses et pavoisés. Ecoutez ne serait-ce que l'instrumental "Temples of void" pour saisir toute l'essence et l'incroyable pouvoir évocateur des harmonies déployées par le groupe.
Disque fort, "Subversum" est pensé pour être le plus efficace possible et n'autoriser aucun décrochage, alternant avec intelligence les chansons courtes ("Eyes of the night") et celles, plus progressives, qui se déploient dans le temps ("Forbidden zone"), les tempos différents, les titres chantés et les instrumentaux ("Terminus", "Temples of void"), les effets (les chœurs inquiétants de "Subversum" et ceux vindicatifs de "Temples of void", entre autres bruitages faits pour déstabiliser et faire frissonner la moelle épinière). 
Une musique qui fonctionne sur les riffs, bien sûr, mais plus encore sur la construction de lignes vocales marquantes et de chorus brillants servis par des guitares jumelles endiablées et lyriques, le tout enrobé dans un son chromé de premier choix.
Le vocaliste, Oscar Carlquist, est bien sûr à la fête : dans un écrin pareil, ses lignes de chant sont une véritable promenade sur la corde raide. A l'instar de son présumé maître, Rob Halford, il peut monter haut, mais il est doté d'un timbre beaucoup plus bestial, ce qui sied d'ailleurs très bien à ce heavy métal insurrectionnel et occulte. 
La face opaque de l'humanité a donc trouvé un nouveau vecteur ; et tandis que cette dictature musicale soumet vos haut-parleurs, jetez un œil au décorum déployé par RAM et déchiffrez les hiéroglyphes futuristes de la pochette : de belles soirées pour l'esprit.