lundi 13 juillet 2020

Ponce Pilate : "Les enfants du cimetière"

Si l'on vous demande, un jour, de sortir le disque le plus étrange, obscur, confidentiel de votre satanée collection, n'hésitez donc pas à exhiber celui-ci...
Oeuvre unique d'un duo (Christian Dussuchal & Yann Parpeix) originaire de la région Centre (Tours / Blois), "Les enfants du cimetière" (1985) se caractérise avant tout par son incroyable degré d'aboutissement, surtout lorsque l'on apprend que tout a été réalisé à compte d'auteur et autoproduit : de l'enregistrement au pressage (500 exemplaires), en passant par la conception de la pochette. Le mensuel "Metal Attack" et quelques radios locales apportent leur soutien au projet, et les disques s'écoulent petit à petit. Aidés par des musiciens additionnels, le duo tente même une participation au Printemps de Bourges, mais Ponce Pilate est finalement écarté des sélections finales, au profit d'un groupe de hard rock plus "conventionnel". Quelques mois plus tard, Christian Dussuchal quitte le navire. L'aventure est terminée.
"Rock païen", rock progressif, hard rock mélodique, traces de métal : la musique de Ponce Pilate est atypique, pas facile à définir. Yann Parpeix, véritable homme orchestre (chant, guitare, batterie, claviers), n'hésite pas à injecter pas mal de synthé et de piano dans l'instrumentation. En fait, les claviers, lorsqu'ils sont présents, ne sont pas de simples décors de fond de mixage : ce sont alors des forces motrices, à égalité avec les guitares, voire carrément mis en avant parfois. 
Alors, on flotte au gré de ces mélodies fort bien ficelées, depuis un "Violence et faits divers" porté par un texte assez "social" et des intonations vindicatives qui rappellent les aspérités de Trust (tout juste atténuées par un délicieux piano bastringue), jusqu'à "La vierge de fer" dont le titre autant que certains passages, basse et guitares toutes voiles dehors, se rapprochent vraiment de Iron Maiden (période "Running free", de toute évidence). Entre temps, on se dit que le lent et ésotérique "Isthar, Vandemm et Gosthal" irait comme un gant au groupe de métal Misanthrope (en guise de reprise), tandis que "Les cloches de l'enfer" (rien à voir avec AC/DC) ou encore "Morphine queen" se la jouent power ballades. Et puis, il y a les morceaux assez sophistiqués dans lesquels le piano est de sortie (le discret "Imagines" et son chorus de guitares jumelles, l'hymne "Ponce Pilate" et sa narration, le provocateur "Les anges de Balthazar" et ses bruitages de plaisir féminin). Là, on pense à Queen, à Savatage, à Uriah Heep... ; bref, à tous ces groupes qui sont allés plus loin que le simple hard rock de base. 
Les textes sont plutôt sombres, mais n'échappent pas, parfois, à une certaine naïveté, voire une voyante  redondance (l'expression "mon corps" qui hante à en avoir mal au coeur "Les anges de Balthazar"). Ce qui est sûr, c'est qu'ils racontent des histoires, des vraies, comme dans ces comédies musicales qui ont si bien égayé la variété française depuis les années 70... Une impression suscitée peut-être involontairement (encore qu'il m'est arrivé de rencontrer d'authentiques métalleux qui se pâmaient à l'écoute de Starmania)... Si l'opportunité d'un deuxième album s'était présentée, Ponce Pilate aurait peut-être gagné à durcir le ton, histoire d'échapper aux vilaines paillettes du samedi soir chez Drucker. Halte aux malentendus.
Une fois de plus, un grand merci aux initiateurs de cette réédition : Christophe Bailet et No Remorse Records. Superbe initiative que de porter à notre connaissance et à nos oreilles cette pièce de choix : l'un des meilleurs albums de rock progressif français ! Comme d'habitude, il y a des bonus tracks issus d'une démo de 1981 : "Elle baise" (superbe faute de goût textuelle autant que musicale, définitivement dézinguée par une voix de tête totalement inappropriée), "Métamorphoses" (qui, comme "Violence et faits divers", rappelle l'univers de Trust), et une version plus simple de "Ponce Pilate" (sans l'intro narrative).

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