samedi 19 mai 2018

Abdullah : "s/t"

Note : cette chronique est extraite de l'ébauche d'un recueil consacré au doom métal, que j'avais commencé à écrire en 2006. Chaque album était disséqué sous la forme d'un "track by track", afin d'être le plus objectif possible.
ABDULLAH : s / t (2000) (Météor City)
Jeff Shirilla : drums, voc - Alan Seibert : guitars - 2 bassistes de session se partagent les titres
1 : 07 : 48

Abdullah est un conglomérat de contrastes. Contraste, dans le livret, entre les photographies shintoïstes/zen  qui apaisent et les gravures ésotériques de vieux grimoires, superbes mais inquiétantes. Contraste musical entre le son rugueux du stoner doom et les harmonies vocales de Jeff Shirilla, le batteur/chanteur. Et beaucoup d’autres détails encore, comme l’extrême richesse ou variété des compositions.
) The path of enlightenment, comme son titre le suggère, tourne le disque vers la lumière, via la voix claire, brillante, de Jeff Shirilla, que des effets de « twin voices » viennent souvent sublimer (magie du studio ou chœurs organiques ?). Dès les premières secondes, le voyage commence. L’ouverture est majestueuse, lente à souhait ; les couplets et le refrain font montre d’une grande évidence. Mais très vite le propos se radicalise : variations, arpèges en son clair, accords de puissance, soli… Les méandres sont nombreux et il faut carrément s’accrocher pour ne pas perdre le fil. Un cap musical dont le franchissement se mérite. 7 : 30
) Conundrum : adorable « petite » chanson (2 : 34 au compteur) qui, entre autres faits d’armes, a le privilège de figurer sur la compilation « Where the bad boys rock » éditée par « I used to fuck people like you in prison – records » en 2001. Une réalisation de grande qualité qui permettait de savourer, d’une simple pression sur le bouton « play », 25 groupes différents oeuvrant dans la sphère grouillante du stoner rock. Inutile de préciser qu’Abdullah y représentait alors le versant le plus esthétique, au milieu de graisseux incorrigibles tels que Red Aim ou encore Nebula. « Conundrum », à la fois immédiat et ciselé, se paye le luxe de faire tenir dans un mouchoir de poche la structure d’une chanson qui pourrait durer le double de son timing. Essence ou noyau dur d’Abdullah, « Conundrum » est un passeport heavy idéal.
) Earth’s answer : avec ses quatre accords de puissance syncopés, sur l’intro et les couplets, ce morceau aurait pu être surnommé « AC/DC’s answer » ! Un univers musical pas prise de tête pour un sou, très aéré même (on pense à ce passage rythmique en son clair qui soutient un solo harmonisé du feu de dieu). À la fin, comme si ça ne suffisait pas, le tempo prend un sérieux coup dans l’aile et c’est parti pour quelques mesures de true doom dantesque (superbe triolet sabbathien en hammer, exécuté par une guitare véritablement en feu : la réponse d’abdullah à ce groupe pionnier originellement appelé « Earth » ?). 5 : 50
) Visions of the daughters of time : ce classique (si, si !) s’appuie sur un pilier souvent utilisé dans le monde du heavy et plus particulièrement du doom : la montée en puissance. Ici, le coup de headbanging se fera à chaque liaison entre les couplets en son clair (voire carrément « guitarless ») et le refrain saturé. Les lignes vocales, inoubliables, sont parées d’une résonance spectrale qui leur confère un aspect religieux. Et pour l’anecdote, on mentionnera ce petit pont rythmique à la guitare sèche (très sèche même : on dirait presque un dobro ou un banjo), propice lui aussi à un bon coup de tête lorsque le groupe, électrifié et au complet, reprend soudain sa place imposante dans le mix.  6 : 59
) Now is the winter : schématiquement assez proche du morceau précèdent, parce que les parcelles en distorsion sont délimitées par un petit thème rachitique interprété par une guitare psyché gavée de tremolo et de wah wah. Le chant, constant dans son lyrisme, s’efface dans le dernier tiers. Le doomster intégriste sera heureux d’entendre le tempo se réduire. Un solo, quelques mesures et tout s’arrête brutalement. Mais bon, l’essentiel est dit. 3 : 46
) Lucifer in starlight est une ballade lente à souhait, menée par une guitare au son clair particulièrement compressé (un effet de chorus intervient probablement aussi). Les parties instrumentales exécutées par cet instrument sont très expressives et servent le plus souvent de guide vocal. En somme, Jeff Shirilla le chanteur suit de très près Alan Seibert le guitariste.
Belle osmose et surtout belle ballade, triste et technique à la fois. 4 : 44
) The black ones : la Finlande est un pays normal puisque des formations telles que Reverend Bizarre parviennent à faire passer en radio des singles longs et pas évidents (« Teutonic witch » par exemple). Lorsque la France mettra fin à sa politique de radiodiffusion ségrégationniste, peut-être pourra-t-on songer à balancer la pépite « The black ones » sur les ondes. Du vrai rock au tempo serein et au refrain proprement libératoire, que nous devrions tous porter en pendentif tant il est ouvragé. « The black ones », single potentiel d’un groupe qui, à ma connaissance, n’en a jamais sorti.
) Awakening the colossus : lorsque les death metalleux Américains de Nile ont sorti « In their darkened shrines », j’ai halluciné en découvrant que le morceau « Unas slayer of the gods » reposait en grande partie sur un riff de transition emprunté à Candlemass (« Dark are the veils of death », environ vers le milieu de la chanson). Avec « Awakening the colossus », le death metal rend à son voisin le doom intérêts et capital. Cette fois-ci, l’emprunteur se nomme Abdullah et le créancier Carcass. Le célèbre « Corporal jigsore quandary » fournit un peu de combustible à cette pièce de 9 : 46, construite dans la durée et pour durer.
) Proverbs of hell : une lente réflexion sur la religion et l’humanité, à méditer musicalement sans que la moindre aspérité vienne perturber l’écoute de l’auditeur, méritant ainsi la palme du titre le plus monolithique de cette liste. On avance comme sur un tapis roulant, la seule station étant un interlude en arpèges clairs sur lesquels repose, comme si on l’avait toujours connu, un chorus mélodique d’une rare finesse. Citons enfin les quatre phrases du refrain, entre lesquelles la guitare quitte ses lourds accords pour tisser systématiquement un filet de quelques notes savoureuses.
) Journey to the orange island : pour rallier cette “île orange”, il faudra traverser un océan de riffs seventies, composé principalement de chorus qui montent et qui descendent (peu d’accords en somme). Pas de panique car ce voyage s’effectue à un rythme paisible. A la moitié du parcours (musical), la terre promise psychédélique doit être atteinte car le chant n’a plus lieu d’être, remplacé par une jam session tranquille où des soli variablement saturés s’entortillent comme du lierre.

) Lotus eaters : c’est le « Redemption song » du doom ! Une guitare acoustique et la voix mélancolique de Jeff Shirilla, sur un texte résigné décrivant la fin d’une ère (vie ? monde ? amour ?). 

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