mardi 28 avril 2020

Black Sabbath : "Master of reality"

Ce qui est un peu déroutant avec les fans des groupes qui ont une discographie longue comme le bras, c'est qu'ils sont rarement d'accord sur le choix du meilleur album de leur poulain... 
Chez Black Sabbath, il y a ceux qui vont préférer le tout premier album pour son côté "acte fondateur du doom", d'autres qui adouberont le réservoir à classiques qu'est "Paranoid" ; certains se prosterneront sans concession devant la période Dio, tandis que l'expertise de "Sabbath bloody sabbath", ou encore la dimension un peu psychédélique de "Vol 4", ne manqueront pas de séduire quelques irréductibles.
Au milieu de cet enchevêtrement, "Master of reality", troisième album du groupe, a forcément ses aficionados... Mieux, ce disque semble avoir un statut "culte", une place à part, une aura. 
Il faut dire qu'il s'est passé quelque chose avec "Master of reality", une sorte de hasard magnifique. L'histoire est simple : Tony Iommi, le guitariste à qui il manque des phalanges, a commencé à souffrir physiquement de la pratique intensive de son instrument. D'où une idée simple : diminuer la tension des cordes en baissant l'accordage de la guitare... Un acte de confort qui est devenu un acte fondateur, en conférant au son une incroyable et soudaine densité. Couplé avec les paroles sans équivoque de "Sweet leaf", ode à l'herbe qui rend heureux, Black Sabbath venait d'inventer le stoner, ainsi que tout un pan assez radical du métal. 
"Sweet leaf", "After forever", "Children of the grave", les premières pièces de "Master of reality", privilégient au moins le mid-tempo, avec toujours une accélération ou un ralentissement se cachant quelque part. On savoure, par exemple, le riff assez héroïque qui ouvre "After forever", juste le temps de plonger vers un peu plus de pesanteur, tandis que le passage central martelé fournira plus tard à Witchfinder General un vrai dictionnaire musical. Décollage assuré avec les mesures vraiment endiablées de "Children of the grave", dont la basse et la batterie ont dû faire forte impression au jeune Steve Harris (une partie de l'ADN du futur Iron Maiden se cache sans doute là). 
Nouveaux rois du tout nouveau doom, Black Sabbath affirme sa place dans la procession en proposant une face B beaucoup plus lourde que la A. Ainsi, "Lord of this world" se charge de planter des clous rouillés dans le bois des cercueils, tandis que "Solitude", avec son instrumentation discrète et sa flûte traversière, propose une mélopée triste et un peu inquiétante, comme "Planet caravan" sur l'album précédent (un poil de génie en moins). Enfin, "Into the void" se charge de fermer la marche lente de cette fin de disque, dans une approche heavy totalement en avance sur son temps : osmose des riffs et des lignes vocales, imparables, prenantes. Dans ce titre, Black Sabbath définit ni plus ni moins le vocabulaire des groupes de thrash à venir : l'intro longue et glauque, l'accélération, le ralentissement soudain (la mosh part)... Tout est là, je vous dis !
N'oublions pas non plus que "Master of reality" est aussi l'album sur lequel le groupe inaugure sa tradition des petits instrumentaux disséminés dans le track listing : ici, "Embryo" et "Orchid" proposent quelques instants de musique médiévale voire Renaissance... Ils sont moins indispensables que le reste, mais ils sont là.



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